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LA CYROPÉDIE, LIV. III.

laient prendre les ordres du général, ou lui rendre compte, les douzainiers et les sixainiers contenaient les soldats, qui, par ce moyen, ne restaient jamais sans chefs.

Lorsque tous ceux dont la présence était nécessaire furent assemblés, il les promena dans les rangs, leur en fit remarquer les bonnes dispositions, et leur dit quelle partie des auxiliaires promettait davantage. Après avoir excité en eux la volonté d’agir, il leur dit de retourner chacun à leurs postes, d’instruire les troupes de ce qu’ils venaient d’apprendre de lui, et d’échauffer tellement le cœur des soldats, qu’ils marchassent avec ardeur à l’ennemi, enfin de se trouver le lendemain matin aux portes du palais de Cyaxare. Ses ordres furent ponctuellement exécutés ; le lendemain, à la pointe du jour, les officiers se trouvèrent au lieu du rendez-vous. Cyrus étant entré avec eux, adressa la parole au roi, en ces termes :

« Ce que j’ai à dire, Cyaxare, sans doute vous l’avez déjà pensé comme nous : peut-être n’osez-vous proposer a de faire sortir l’armée de la Médie, dans la crainte qu’on ne vous croie las de nous fournir des subsistances. Mais puisque vous gardez le silence, je vais, moi, parler et pour vous et pour nous. Préparés au combat, nous estimons tous que nous ne devons point attendre l’entrée de l’ennemi sur vos terres : au lieu de demeurer tranquilles dans un pays ami, allons porter la guerre dans celui des ennemis. Tant que nous restons chez vous, nous y causons involontairement du dommage ; sur leur territoire, au contraire, nous pillerions avec plaisir : d’ailleurs, il vous en coûte beaucoup ici pour nous entretenir ; là, nous vivrons à leurs dépens. S’il devait y avoir plus de danger pour nous en Assyrie qu’en Médie, nous aurions tort, sans doute, de ne pas choisir le parti le plus sûr ; mais soit que nous attendions, soit que nous allions au-devant, ils seront toujours les mêmes hommes : nous, de notre côté, soit que nous attendions ici l’irruption de l’ennemi, soit que nous allions-lui livrer bataille, nous serons également les mêmes. Mais que dis-je ? prévenons-le avec l’ardeur de gens qui ne craignent pas son approche : nous aurons, nous, d’intrépides soldats ; pour eux, ils seront bien plus épouvantés, quand ils apprendront que loin d’attendre, renfermés dans nos foyers et tremblans qu’ils viennent dévaster nos terres, nous les prévenons, en portant le ravage sur les leurs. Rien ne nous importe plus que de fortifier par la confiance les âmes de nos soldats, et d’affaiblir par la peur celles de nos ennemis. Le péril alors ne sera plus égal, selon moi ; il diminuera pour les uns et croîtra pour les autres. J’ai souvent ouï dire à mon père, à vous-même, et tout le monde en convient, que le courage décide du sort des combats bien plus que la force. »

Ainsi parla Cyrus. Cyaxare lui répondit en ces termes : « Cyrus, et vous Perses ici présens, ne me soupçonnez pas de vous fournir à regret des subsistances : je pense néanmoins, ainsi que vous, qu’il n’y a rien de mieux à faire que d’entrer en Assyrie. — Puisque c’est l’avis général, reprit Cyrus, préparons nos équipages ; et si les Dieux sont pour nous, partons sans différer. » Après avoir ordonné aux soldats de préparer leurs bagages, il sacrifia d’abord au Dieu suprême, puis aux autres divinités, les priant de favoriser ses desseins, de servir de guides a l’armée, de lui prêter leur assistance, de combattre avec elle, et d’inspirer aux chefs des conseils salu-