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LA CYROPÉDIE, LIV. III.

leurs rangs ; que c’était là le rapport des gens qui l’avaient entendu. « Cyrus, reprit Chrysante, si tu assemblais de même tes soldats, si tu les haranguais, tu en as encore le temps, est-ce que tes discours ne redoubleraient pas leur ardeur ? — Mon cher Chrysante, ne te mets point en peine des harangues du roi d’Assyrie ; il n’y en a point d’assez puissantes pour transformer subitement en braves soldats les poltrons, en archers habiles ceux qui manqueraient d’exercice, en bons lanciers, en cavaliers instruits ceux qui ne seraient ni l’un ni l’autre. On n’en ferait pas même de bons esclaves, s’ils n’étaient accoutumés à la fatigue. — Mais, Cyrus, aurais-tu donc peu fait, si tu echauffais leur courage ? — Eh quoi ! un discours peut-il en un seul jour inspirer de l’honneur à ceux qui l’entendent, les rendre incapables de lâcheté, les porter à braver, pour l’amour de la gloire, tous les travaux et tous les périls, inculquer profondément dans leurs âmes qu’il vaut mieux mourir en combattant, que devoir son salut à la fuite ? Si on veut que les hommes se pénètrent de ces sentimens, et qu’ils ne les oublient jamais, il faut d’abord établir des lois qui assurent aux citoyens vertueux une existence honorable et libre, et qui condamnent les lâches à traîner dans l’humiliation une vie misérable et abjecte : il faut ensuite confier ces hommes à des chefs qui les forment, par leur exemple autant que par des préceptes, à la pratique des vertus, jusqu’à ce qu’ils soient bien convaincus qu’il n’y a de vraiment heureux que ceux qui par leur valeur s’acquièrent l’estime publique ; et que les lâches, les gens sans honneur sont les plus malheureux du monde. Voilà quels sentimens doivent animer des hommes qui veulent, par le secours de l’instruction, se montrer supérieurs à la crainte. S’il suffisait, pour les animer d’une ardeur guerrière, de les haranguer au moment où couverts de leurs armes ils vont à la charge, moment où la plupart oublient les anciennes instructions, rien ne serait plus aisé que d’acquérir pour soi et d’enseigner aux autres la plus grande des vertus. Pour moi, je ne me fierais pas même à nos soldats que nous exerçons depuis si long-temps, si je ne vous voyais à leur tête, pour leur apprendre par vos exemples comment il faut se comporter, et pour rappeler à leur devoir ceux qui l’oublieraient. En un mot, Chrysante, je serais surpris qu’un discours éloquent eût plus de pouvoir pour donner du courage, qu’un air bien chanté n’a de force pour rendre musicien celui qui n’aurait nulle teinture de musique. »

Durant cet entretien, Cyaxare fit dire de nouveau à Cyrus, qu’il avait tort de différer et de ne pas mener promptement les troupes à l’ennemi. « Retournez vers Cyaxare, répondit le prince aux envoyés, et dites-lui, en présence de tout le monde, que les Assyriens ne sont pas encore sortis de leur camp en assez grand nombre : mais, puisqu’il le veut, je vais exécuter ses ordres. » En finissant ces mots, il invoque les Dieux, met les troupes en mouvement, s’avance à leur tête, au pas redoublé. Les soldats, depuis long-temps accoutumés à marcher sans confondre leurs rangs, le suivent en bon ordre. L’émulation qui régnait entre eux, la vigueur de leurs corps fortifiés par l’habitude du travail, la présence des officiers aux premiers rangs, tout leur donnait de l’assurance : enfin, ils avançaient avec joie, parce que la prudence les dirigeait. Une longue expérience leur avait appris qu’il est plus facile et plus sûr de combattre de près contre des cavaliers, des archers et des acontistes.

Avant d’arriver à la portée de l’arc,

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