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XÉNOPHON.

un péan et tenez-vous prêts à exécuter ce qui vous sera commandé. »

À ces mots, il monte à cheval et part pour se rendre auprès de Cyaxare. Après s’être réjoui avec lui comme cela devait être ; après avoir visité le quartier des Mèdes, et demandé au roi si rien ne lui manquait, il rejoignit son armée.

Dès que les Perses eurent soupé, et posé des sentinelles comme la prudence l’exigeait, ils se livrèrent au repos. Cependant les Assyriens, après la mort de leur roi et la perte de leurs plus braves compagnons, étaient tous dans la consternation ; plusieurs même s’étaient enfuis pendant la nuit. Crésus et les autres alliés perdaient courage en voyant cette désertion : tout leur était contraire. Ce qui mettait le comble à leur découragement, c’est que les principaux officiers de l’armée semblaient avoir perdu jusqu’à la faculté de penser : ils abandonnèrent donc leur camp, et se sauvèrent à la faveur de la nuit.

Au point du jour, comme on s’aperçut de la désertion du camp, Cyrus y fit entrer les Perses les premiers. Les ennemis y avaient laissé quantité de brebis, de bœufs, de chariots remplis d’une infinité de choses utiles. Les Mèdes qui étaient demeurés avec Cyaxare, s’y rendirent aussi ; et toute l’armée y fit son repas. Cyrus ayant ensuite convoqué ses taxiarques, leur adressa ce discours : « Mes amis, que de biens, et quels biens encore, nous échappent, lorsque les Dieux nous les offraient ! Les ennemis frappés de terreur, ont pris la fuite ; vous le voyez. Comment des gens qui ont abandonné en fuyant, des retranchemens où ils étaient à couvert, tiendraient-ils devant nous en rase campagne ? Comment les mêmes hommes qui ont lâché pied avant de nous connaître, oseraient-ils, battus et maltraités, résister à leurs vainqueurs, lorsque les plus braves d’entre eux ont péri ? De méprisables soldats voudront-ils se mesurer avec nous ? — Pourquoi, s’écria quelqu’un, avec un avantage aussi marqué, ne nous hâtons-nous pas de les poursuivre ? — Parce que nous manquons de cavalerie, répliqua Cyrus, et que les plus considérables d’entre les ennemis, qu’il nous importerait le plus de tuer ou faire prisonniers, s’en retournent à cheval dans leur pays. Nous avons bien pu, avec l’aide des Dieux, les mettre en déroute ; mais il nous est impossible de les atteindre en les poursuivant. — Que n’allez-vous, lui répondit-on, en faire l’observation à Cyaxare. — Eh bien, venez tous avec moi, afin qu’il voie que nous pensons tous de même. » Ils le suivirent, et dirent tout ce qui leur parut le plus propre à faire réussir ce qu’ils proposaient.

Cyaxare, soit jalousie de ce que les Perses ouvraient les premiers cet avis, soit persuasion qu’il serait sage de ne pas courir de nouveaux hasards (car le roi se livrait alors à la joie, et voyait beaucoup de Mèdes imiter son exemple), répondit : « Cyrus, je sais, pour l’avoir vu et ouï dire, que vous autres Perses, vous êtes, de tous les hommes, les plus exercés à n’user immodérément d’aucun plaisir. Pour moi, je pense qu’il importe bien davantage de se modérer au milieu des plus grandes jouissances : or, y a-t-il rien au monde qui en procure de plus sensibles que notre bonheur présent ? Si nous le ménageons sagement, sans doute heureux loin des dangers, nous vieillirons en paix : si au contraire nous sommes insatiables, et qu’après ce bonheur nous en poursuivions un autre, craignons le sort de ces navigateurs qui, éblouis de leur fortune,