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LA CYROPÉDIE, LIV. IV.

s’obstinent à courir les mers, jusqu’à ce qu’ils périssent enfin ; ou de ces guerriers, qui, vainqueurs d’abord, perdent le fruit de leur victoire, pour avoir voulu en obtenir une seconde. Si les ennemis qui ont pris la fuite nous étaient inférieurs en nombre, sans doute nous hasarderions peu à les poursuivre ; mais considérez que nous n’avons défait, avec toutes nos troupes réunies, qu’une très petite partie des leurs, et que les autres n’ont point combattu. Si nous ne les provoquons pas, comme ils ne connaissent ni leurs forces, ni les nôtres, ils se retireront par ignorance et pusillanimité ; mais s’ils voient que la fuite leur est aussi dangereuse que la résistance, n’est il pas à craindre qu’ils ne deviennent braves malgré eux ? Persuadez-vous que vous ne désirez pas plus ardemment de prendre leurs femmes et leurs enfans, qu’ils ne désirent de les sauver. Considérez encore qu’une troupe de laies, quoique nombreuse, s’enfuit avec ses petits, dès qu’elle est découverte, et qu’une laie seule, si on donne la chasse aux siens, loin de fuir, s’élance sur le chasseur qui tente de les lui ravir. Les ennemis s’étaient renfermés dans leurs retranchemens ; nous avons donc pu choisir le nombre des leurs que nous voulions combattre : mais si nous les joignons en plaine, et qu’ils apprennent à se diviser en plusieurs corps, qui nous attaquent, l’un de front comme tout récemment, deux autres en flanc, un quatrième par derrière, peut-être n’aurons-nous ni assez d’yeux ni assez de mains pour nous défendre. Enfin je ne voudrais pas, lorsque je vois les Mèdes se divertir, les contraindre à chercher de nouveaux périls. »

« — Mais ne contraignez personne, repartit Cyrus ; confiez-moi seulement ceux qui voudront bien me suivre, et j’espère que nous vous ramènerons de quoi vous réjouir, vous et vos amis. Nous n’irons certainement pas attaquer le gros de l’armée ennemie, puisqu’il nous serait même impossible de l’atteindre ; mais, si nous rencontrons quelque corps détaché, ou resté en arrière, nous ne l’épargnerons pas. Songez qu’à votre prière, nous sommes venus de loin vous offrir nos bras : il est juste qu’à votre tour, vous vous occupiez de nos intérêts, afin que nous ne partions pas les mains vides, et que nous ne fondions pas notre espoir sur vos finances seules. — Si quelqu’un veut te suivre, répondit Cyaxare, j’en serai fort aise. — Envoyez donc avec moi un Mède bien connu, pour annoncer aux autres ce que vous venez de décider. Prends celui qu’il te plaira. Le hasard fit trouver là ce Mède qui s’était dit cousin de Cyrus et qui l’avait tant de fois embrassé. — Cyaxare, je me contente de celui-ci. — Soit, qu’il te suive ; et toi, dit-il au Mède, vas annoncer que chacun est libre d’accompagner Cyrus. » Quand ils furent sortis de la tente : « C’est maintenant, lui dit Cyrus, que tu me prouveras si tu disais vrai quand tu m’assurais que tu prenais beaucoup de plaisir à me voir. — Si tu le veux, oh ! je ne te quitterai plus. — Exciteras-tu pareillement tes compatriotes à me suivre ? — Oui, je te le jure, et même jusqu’à ce que je mérite que tu prennes aussi quelque plaisir à me voir. » En effet, il remplit avec zèle la commission de Cyaxare auprès des Mèdes ; ajoutant que pour lui, jamais il ne quitterait un prince qui joignait à la valeur et à la beauté l’avantage encore plus grand d’être issu du sang des Dieux.

Chap. 2. Sur ces entrefaites il vint à Cyrus, comme par une faveur des