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LA CYROPÉDIE, LIV. V.

de bonne volonté que parmi nos ennemis.

» Afin que tu aies un nouveau motif de confiance, considère qu’ils sont aujourd’hui beaucoup moins qu’ils n’étaient quand nous les défîmes, beaucoup moins encore qu’ils n’étaient quand ils s’enfuirent de leur camp ; au lieu que nous, nous sommes plus grands en qualité de vainqueurs, plus forts puisque la fortune nous favorise, plus nombreux par la jonction de tes troupes aux nôtres : car ne fais pas à tes gens l’injure de les compter pour peu depuis qu’ils sont avec nous. Gobryas, dans une armée victorieuse, tout, jusqu’aux valets, suit avec ardeur. Songe d’ailleurs que les ennemis peuvent, dès-à-présent, nous découvrir, et que jamais nous ne leur paraîtrons plus redoutables qu’en les allant chercher. Voilà mon avis : conduis-nous donc droit à Babylone. »

Chap. 3. Après quatre jours de marche, l’armée arriva aux extrémités des états de Gobryas. Aussitôt qu’elle fut entrée dans le pays ennemi, Cyrus fit faire halte et demeura en bataille à la tête de l’infanterie et d’une troupe de cavalerie qu’il jugea suffisante pour ses desseins. Il envoya le reste battre la campagne, avec ordre de se défaire de tout ce qu’on rencontrerait d’ennemis armés, et de lui amener les autres avec le bétail qu’on prendrait. Il commanda à ses cavaliers perses d’accompagner les coureurs : plusieurs revinrent renversés de leurs chevaux ; plusieurs rapportèrent un butin considérable.

Pendant qu’on exposait ce butin, Cyrus convoqua les chefs tant des Mèdes que des Hyrcaniens, et les homotimes. « Mes amis, leur dit-il, Gobryas nous a donné bien généreusement l’hospitalité. Si après avoir choisi dans le butin ce qu’on doit, suivant l’usage, offrir aux Dieux, et en avoir retenu une portion pour l’armée, nous lui abandonnions le surplus, nous ferions une chose louable ; et l’on verrait que nous tâchons de surpasser nos bienfaiteurs en générosité. » Cette proposition fut reçue avec acclamation, et généralement applaudie. « Ne différons pas, dit quelqu’un ; Gobryas nous a pris pour des misérables, parce que nous ne sommes point venus chargés de dariques, et que nous ne buvons point dans des coupes d’or : ce procédé lui apprendra qu’on peut avoir l’âme noble sans être riche. — Allez donc, reprit Cyrus, remettez aux mages les offrandes destinées pour les Dieux : réservez les provisions nécessaires à l’armée ; appelez ensuite Gobryas, et donnez-lui le reste du butin. » Ce qui fut exécuté ponctuellement.

Cyrus ensuite avança vers Babylone avec son armée rangée dans l’ordre où elle était le jour du combat. Voyant que les Assyriens ne venaient point à sa rencontre, il chargea le même Gobryas d’aller leur dire de sa part, que si leur roi voulait sortir pour en venir aux mains, Cyrus était prêt ; mais que s’il ne défendait pas ses états, il eût à se soumettre.

Gobryas s’étant avancé jusqu’où il le pouvait sans danger, s’acquitta de sa commission. Le roi lui envoya cette réponse : « Voici, Gobryas, ce que dit ton maître : je me repens, non d’avoir tué ton fils, mais de ne t’avoir pas fait mourir comme lui. Si vous voulez une bataille, revenez dans trente jours : présentement nous sommes occupés ; nous faisons nos préparatifs. — Puisse ce repentir, s’écria Gobryas, ne finir qu’avec ta vie ! car je vois que depuis qu’il est entré dans ton âme, je fais ton tourment. » Il revint rendre compte de la réponse de l’Assyrien ; sur quoi Cyrus fit retirer ses troupes, et parlant à Gobryas : « Tu disais, je crois, que le