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XÉNOPHON.

prince mutilé par le roi d’Assyrie, se joindrait à nous ? — Je n’en saurais douter, d’après plusieurs entretiens où nous nous parlions avec franchise. — Puisque tu penses ainsi, va le trouver ; efforcez-vous d’abord, toi et les tiens, de découvrir ce qu’il pense ; lorsque ensuite tu t’entretiendras avec lui, si tu juges qu’il désire véritablement être de nos amis, il faudra prendre toutes les mesures pour qu’il ne transpire rien de notre intelligence. À la guerre, on ne sert jamais mieux ses amis qu’en passant pour leur ennemi ; et jamais on ne nuit plus sûrement à ses ennemis qu’en paraissant leur ami. — Oui, je suis certain, repartit Gobryas, que Gadatas paierait fort cher le plaisir de faire beaucoup de mal au roi d’Assyrie : il s’agit de voir comment il peut lui nuire.

» — Penses-tu, demanda Cyrus, que le gouverneur de ce château situé sur la frontière du côté des Hyrcaniens et des Saces, et que tu dis avoir été bâti tant pour les contenir que pour servir de boulevart au pays en cas de guerre, voulût y recevoir Gadatas s’il s’en approchait avec des troupes ? — Oui, pourvu qu’il s’y présentât tandis qu’il n’est pas suspect. — Eh bien, il ne le sera pas, si je vais assiéger ses places fortes, comme pour m’en rendre maître, et qu’il m’oppose, lui, une vigoureuse résistance. Je m’emparerai de quelqu’une de ses possessions ; de son côté il fera sur nous quelques prisonniers, nommément ceux qui doivent aller par mon ordre, vers les peuples que vous m’avez dit être ennemis du roi d’Assyrie. Les prisonniers interrogés répondront qu’ils allaient chez ces peuples pour faire apporter des échelles au château : Gadatas, feignant d’apprendre cette nouvelle, ira promptement trouver le gouverneur, sous prétexte de lui donner avis de notre entreprise. — Si l’on suit cette conduite, dit Gobryas, je suis convaincu que le gouverneur recevra Gadatas dans la place, qu’il le priera même d’y demeurer avec lui jusqu’à ce que tu en sois éloigné. — Crois-tu que Gadatas, quand il sera entré dans le château, puisse le remettre entre nos mains ? — La reddition en est certaine, si tandis qu’il fera toutes ses dispositions au-dedans, tu attaques vigoureusement les dehors. — Pars donc, instruis-le bien, et reviens sans différer. Tu ne saurais ni lui rien dire, ni lui rien montrer qui dépose mieux en faveur de notre bonne foi que le traitement que tu as reçu de nous. » Gobryas se mit en chemin : Gadatas ravi de le voir, convint de tout avec lui ; et l’accord fut conclu.

Informé par Gobryas que l’entière exécution du projet paraissait être assurée, Cyrus attaque dès le lendemain, et malgré la résistance apparente de Gadatas emporte une forteresse dont lui-même avait conseillé le siége. Quant aux envoyés que Cyrus avait dépêchés vers différens peuples, Gadatas en laisse échapper quelques-uns, afin qu’ils ramènent des troupes et apportent des échelles : mais il en arrête plusieurs, qu’il interroge en présence de témoins. Il apprend d’eux l’objet de leur mission ; il fait ses préparatifs pour son départ, et dès la nuit même il se met en route, sous prétexte d’aller avertir le gouverneur. On ajoute foi à ses paroles ; il entre dans le château comme auxiliaire. De concert avec le gouverneur, il dispose tout pour la défense : mais à l’approche de Cyrus, il se rend maître de la place, aidé des prisonniers perses qu’il avait emmenés.

Après avoir établi l’ordre nécessaire pour la sûreté de sa conquête, il vint trouver Cyrus ; et l’adorant selon l’usage, « Seigneur, lui dit-il, livre-toi à la joie. — Oui je m’y livre tout entier, ré-