Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/708

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
707
LA CYROPÉDIE, LIV. VI.

être en même temps bonne et mauvaise, avoir à-la-fois des penchans honnêtes et des penchans honteux, vouloir une chose et ne la vouloir point. Oui, sans contredit, nous avons deux âmes ; quand la bonne est maîtresse, elle fait le bien ; quand la mauvaise prend le dessus, elle se livre à des excès honteux : à présent que ma bonne âme est forte de ton secours, elle a sur l’autre un empire absolu. — Quoi qu’il en soit, répliqua Cyrus, si tu es décidé partir, voici ce que tu feras pour gagner la confiance des ennemis : fais-leur part de nos projets ; mais ne leur en découvre que ce qu’il faut pour déconcerter les leurs : or tu y réussiras, si tu leur dis, par exemple, que nous nous préparons à faire une invasion dans leur pays ; la crainte que chacun aura pour ses propres domaines, les empêchera de réunir leurs forces dans le même lieu. Demeure avec eux le plus long-temps que tu pourras : c’est lorsqu’ils seront le plus près de nous, que nous aurons le plus besoin de tes avis. Engage-les à choisir même l’ordre de bataille le plus fort. Tu le connaîtras bien sans doute, quand tu reviendras nous rejoindre ; et il faudra de toute nécessité qu’ils s’y arrêtent : un changement subit mettrait toute leur armée en désordre. » Araspe, muni de cette instruction, sortit du camp, accompagné de ses plus fidèles serviteurs, après avoir tenu à quelques personnes les propos qu’il jugea propres à favoriser ses desseins.

Dès que Panthée eut appris la retraite d’Araspe, elle fit dire à Cyrus : « Prince, que la défection d’Araspe ne te chagrine point ; si tu me permets d’envoyer un courrier à mon mari, je te promets un ami plus fidèle qu’Araspe, et qui, j’en suis certaine, viendra suivi d’autant de troupes qu’il en aura pu rassembler : Abradate était aimé du père de celui qui occupe le trône d’Assyrie ; mais le fils ayant tout fait pour semer la discorde entre lui et moi, nul doute que mon époux, qui le regarde comme un homme sans mœurs, ne l’abandonne volontiers pour s’attacher à un prince tel que toi. » Sur ces offres, Cyrus la presse de dépêcher un courrier à son mari ; ce qu’elle exécute aussitôt.

Abradate ayant reconnu les chiffres de sa femme, et lu ce qu’elle lui mandait, partit volontiers avec environ deux mille chevaux, pour se rendre auprès de Cyrus. Arrivé au premier poste des Perses, il en donne avis au prince, qui le fait conduire d’abord à la tente de Panthée, Aussitôt que les deux époux s’aperçurent, ils se jetèrent dans les bras l’un de l’autre, avec le transport de joie que cause un bonheur inattendu.

Après ces embrassemens, Panthée entretint son mari de la pureté des mœurs de Cyrus, de sa modération, de la part qu’il avait prise à ses malheurs. Abradate, touché de ce récit : « Que puis-je faire, dit-il, ma chère Panthée, pour nous acquitter l’un et l’autre envers ce prince ? — Que peux-tu faire de mieux, répondit-elle, que d’avoir pour lui les sentimens qu’il a eu pour toi ? »

Cet entretien fini, Abradate alla visiter Cyrus. En l’abordant, il lui prit la main, et lui dit : « Cyrus, je ne puis mieux reconnaître tout ce que tu as fait pour nous, qu’en t’offrant en moi un serviteur, un ami, un allié ; quelque entreprise que tu formes, je te seconderai de toutes mes forces. — J’accepte tes offres, répondit Cyrus : pour aujourd’hui, je te laisse souper avec Panthée ; mais dorénavant il faudra que nous prenions nos repas ensemble dans ma tente, avec tes amis et les miens. »

Quelque temps après, Abradate ayant remarqué que Cyrus aimait beaucoup les chars armés de faux, les chevaux

45..