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XÉNOPHON.

l’inventeur, est encore en usage dans les pays soumis au roi de Perse. Il avait de plus quantité de chameaux, qui lui venaient, les uns de ses amis, les autres des captures faites sur les Assyriens.

Au milieu de ces préparatifs, Cyrus jugeant à propos d’envoyer quelqu’un en Lydie, et d’apprendre ce que faisait le roi d’Assyrie, Araspe, chargé de la garde de la belle prisonnière, lui parut propre à cette commission. Voici qu’elle était son aventure : Araspe, éperdument amoureux de sa captive, avait été contraint de lui ouvrir son cœur ; la belle Susienne, fidèle à son mari qu’elle aimait quoique absent, ne l’avait point écouté : cependant, pour ne pas diviser deux amis, elle ne voulait point porter ses plaintes à Cyrus. Araspe, qui d’abord s’était flatté du succès, se voyant trompé dans son attente, la menaça d’emporter de force ce qu’elle refusait à ses prières. La captive, craignant quelque violence, ne tient plus l’affaire secrète, envoie un eunuque à Cyrus, avec ordre de lui déclarer tout. Cyrus ne put s’empêcher de rire de la défaite de cet homme qui se vantait d’être plus fort que l’amour ; et à l’instant même il lui envoie Artabase avec l’eunuque, pour lui dire qu’une femme de ce rang devait être à l’abri de la violence, mais qu’il ne lui interdisait pas la persuasion. Artabase, en abordant Araspe, le traita durement, lui représentant que cette princesse était un dépôt sacré, lui reprochant son injustice, son incontinence, son impiété. Araspe, pénétré de douleur, fondant en larmes, et couvert de honte, tremblait de crainte d’être encore maltraité par Cyrus.

Le prince instruit de ce détail, le fit appeler ; et lui parlant seul à seul : « Araspe, je te vois tremblant et confus ; rassure-toi. J’ai ouï dire que des Dieux ont été vaincus par l’amour ; et je sais dans quels écarts il a souvent entraîné les hommes réputés les plus sages : moi-même je sens, quand je me trouve avec de belles femmes, que je n’ai pas assez d’empire sur moi pour les regarder d’un œil indifférent. C’est moi d’ailleurs, qui suis cause de ton malheur, moi qui t’ai enfermé avec cet invincible ennemi. — Ah ! Cyrus, tu es toujours toi-même, bon et indulgent pour les faiblesses de l’humanité, tandis que les autres hommes ne cherchent qu’à m’accabler. Depuis que le bruit de mon infortune s’est répandu, mes ennemis me raillent ; et mes amis me pressent de me cacher, pour me dérober au traitement dont ils craignent que tu ne punisses mon crime. — Eh bien, Araspe, apprends que ces bruits-là te mettent à portée de nous rendre, à nos alliés et à moi, un important service. — Plût au ciel, répondit Araspe, que j’eusse encore une occasion de te servir !

— Si tu veux feindre de me fuir, et passer, sous ce prétexte, dans l’armée ennemie, je suis sûr qu’on ajoutera foi à tout ce que tu diras. — Je n’en doute pas, repartit Araspe ; et je suis convaincu que mes amis ne manqueront pas de publier que c’est là le motif de ma retraite. — Tu reviendras donc instruit du secret des ennemis : comme ils auront confiance en toi, ils te feront part de leurs desseins et de leurs ressources, et tu n’ignoreras rien de tout ce qu’il nous importe de savoir. — Je pars à l’heure même, dit Araspe : sois sûr qu’on ne me suspectera pas en me voyant fuir dans le moment où je dois redouter ton courroux.

— Mais auras-tu bien le courage de quitter la belle Panthée ? — Seigneur, j’éprouve sensiblement que j’ai deux âmes ; c’est une philosophie que vient de m’enseigner l’amour, ce dangereux sophiste : car enfin une âme ne peut