Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/718

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
717
LA CYROPÉDIE, LIV. VI.

nouvelles armes. Il avait pris des mains de son écuyer les rênes de son char, et se disposait à y monter, lorsque Panthée ayant fait éloigner ceux qui les entouraient : « Abradate, lui dit-elle, s’il y eût jamais des femmes qui aimassent leurs époux plus qu’elles-mêmes, sans doute, tu me mets au nombre de ces femmes. Il serait superflu de te prouver par de longs discours ce que démontrent bien mieux mes actions. Cependant, quels que soient les sentimens que tu me connais pour toi, j’estimerais mieux, j’en jure par mon amour et par le tien, te suivre au tombeau où t’eût conduit une belle mort, que de vivre sans honneur avec un mari déshonoré ; tant je suis persuadée que nous ne devons l’un et l’autre respirer que pour la gloire. Que d’obligations n’avons-nous pas à Cyrus ? captive, destinée à lui appartenir, loin de me traiter en esclave, ou de me proposer ma liberté à de honteuses conditions, il m’a conservée pour toi, comme si j’avais été la femme de son frère. D’ailleurs, lorsque Araspe, à qui il m’avait confiée, eut abandonné son parti, ne lui ai-je pas promis que s’il me permettait de te dépêcher un courrier, tu viendrais lui offrir en toi un allié plus fidèle, et plus utile qu’Araspe ! »

Abradate, transporté de ce qu’il venait d’entendre, posa la main sur la tête de sa femme, et leva les yeux au ciel : « Grand Jupiter, s’écria-t-il, fais que je me montre digne ami de Cyrus, qui nous a traités l’un et l’autre avec tant d’égards ! » À ces mots, il monte sur son char. Quand il y fut placé et que son écuyer l’eut fermé, Panthée qui ne pouvait plus embrasser son mari, baisait le char. Mais bientôt le char s’éloigne : elle le suit quelque temps, sans être aperçue d’Abradate, qui tournant la tête et voyant sa femme sur ses pas : « Rassure-toi, Panthée, adieu ; séparons-nous. » Aussitôt ses eunuques et ses femmes la prirent et la conduisirent à son chariot, où l’ayant couchée, ils la recouvrirent d’un pavillon. Tous les yeux se tournèrent alors vers Abradate : personne n’avait songé à le regarder, tant que Panthée avait été présente, quoique ce guerrier et son char méritassent d’attirer les regards.

Lorsque Cyrus eut sacrifié sous d’heureux auspices, que l’armée fut rangée selon ses ordres, et qu’il eut établi des postes en avant à quelque distance les uns des autres, il assembla les chefs, et leur parla ainsi : « Braves et fidèles alliés, les Dieux nous montrent dans le sacrifice les mêmes présages qui nous ont annoncé notre première victoire. C’est à moi maintenant à vous rappeler les motifs qui doivent redoubler votre ardeur. Souvenez-vous que vous êtes bien plus aguerris que nos ennemis, que vous êtes depuis plus long-temps formés à la même discipline et réunis en un même corps d’armée ; que vous avez presque tous participé à la victoire remportée sur eux, et que beaucoup de leurs alliés ont partagé leur défaite. À l’égard des soldats des deux partis qui n’ont point encore vu de bataille, ceux de l’armée assyrienne savent qu’ils n’ont pour compagnons que des lâches : mais vous qui marchez sous nos étendards, vous savez que vous combattez avec des hommes résolus à vous défendre.

Avec une confiance réciproque, tous, animés d’une égale ardeur, tiennent tête à l’ennemi ; au lieu que si l’on se défie les uns des autres, on ne songe qu’aux moyens de se dérober au danger. Marchons donc aux ennemis, braves camarades : opposons nos redoutables chars à des chars