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LA CYROPÉDIE, LIV. VII.

contre votre escadron de chameaux ; et soyez sûrs qu’avant d’en venir aux mains, vous rirez à leurs dépens. » Ces dispositions faites, Cyrus gagna la droite de son armée.

Cependant Crésus ayant remarqué que le corps de bataille dont il occupait le centre, était plus près de l’ennemi que les ailes qui continuaient de s’étendre, les avertit par un signal de ne pas aller plus loin, et de faire un quart de conversion, Lorsqu’elles eurent fait halte, le visage tourné vers l’ennemi, Crésus leur ordonna, par un nouveau signal, de marcher en avant. On vit alors trois armées s’ébranler à-la-fois contre celle de Cyrus ; l’une de front, les deux autres sur les flancs de droite et de gauche. Les Perses en furent effrayés : de toutes parts, excepté par derrière, ils étaient environnés de cavalerie, d’hoplites, de peltophores, d’archers et de chars ; on eût dit un petit carré enfermé dans un grand.

Néanmoins, au commandement de Cyrus, ils firent face de tous côtés. L’attente de l’événement tenait les deux partis dans un profond silence. Alors Cyrus, jugeant le moment arrivé, entonne un péan ; l’armée entière y répond et ensuite invoque à grands cris Mars Ényalius. Cyrus part à la tête d’un corps de cavalerie, et prend en flanc l’aile droite des ennemis ; il pénètre au milieu d’eux. Un corps d’infanterie qui le suivait à grands pas, sans rompre son ordonnance, entame leurs rangs par différens endroits, et combat avec tout l’avantage d’une troupe disposée en phalange sur une troupe qui prête le flanc ; de sorte que les Assyriens s’enfuirent avec précipitation.

Artagersas, jugeant que Cyrus avait engagé l’action, marche à l’aile gauche, précédé des chameaux, suivant l’ordre qu’il avait reçu. Les chevaux ne purent soutenir, même à une grande distance, la vue de ces animaux : saisis d’effroi, ils fuyaient, se cabraient, se renversaient les uns sur les autres. C’est l’effet ordinaire que l’aspect d’un chameau produit sur les chevaux. Artagersas, avec sa troupe en bon ordre, charge l’ennemi en désordre, faisant de droite et de gauche avancer ses chars. Ceux qui cherchent à éviter les chars, sont taillés en pièces par le corps d’Artagersas, ceux qui veulent éviter Artagersas sont surpris par les chars.

Abradate n’attendit pas davantage : « Suivez-moi, mes amis, » s’écria-t-il à haute voix ; et lâchant les rênes à ses chevaux, il les presse de l’aiguillon, les met tout en sang. Tous les chars s’élancent avec une égale ardeur : ceux des ennemis prennent la fuite, quelques-uns même sans les guerriers qui devaient y monter. Abradate perce cette ligne, et fond sur les Égyptiens, accompagné de ceux des siens qu’il avait placés le plus près de lui. On a dit souvent que rien n’égale le courage d’une troupe composée d’amis : on l’éprouva dans cette occasion. Abradate fut vaillamment secondé par les conducteurs de chars qu’il admettait à sa familiarité et à sa table ; au lieu que les autres voyant un épais bataillon d’Égytiens tenir ferme, tournèrent vers ceux des chars qui fuyaient, et les suivirent.

Les Égyptiens se tenaient si serrés à l’endroit de l’attaque d’Abradate, que ne pouvant s’ouvrir pour donner passage à ses chars, plusieurs furent renversés par le choc des chevaux qui les foulèrent aux pieds ; bientôt on ne vit autour des chars qu’un amas confus d’hommes, de chevaux, d’armes, de roues brisées : rien ne résistait au tranchant des faux ; elles coupaient également et les corps et les armes. Dans ce tumulte qu’il est impossible de peindre,

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