Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/728

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
727
LA CYROPÉDIE, LIV. VII.

la sienne : un Égyptien l’avait coupée d’un coup de hache. La vue de cette main mutilée redoubla sa douleur : Panthée, en jetant des cris lamentables, la reprend, la baise, et tâche de la rejoindre au bras. « Cyrus, dit-elle, le reste de son corps est dans le même état : mais que vous servirait de le regarder ? Voilà où l’ont réduit son amour pour moi, et je puis ajouter, son attachement pour vous, Cyrus. Insensée ! sans cesse je l’exhortais à se montrer par ses actions votre digne ami : pour lui, il songeait non au destin qui l’attendait, mais aux moyens de vous servir. Enfin, il est mort sans avoir mérité de reproches, et moi, dont les conseils l’ont conduit au trépas, je vis encore, et me vois près de lui ! »

Cyrus fondait en larmes sans parler ; puis rompant le silence : « Ô Panthée ! votre époux a du moins terminé glorieusement sa carrière, puisqu’il est mort vainqueur. Acceptez ce que je vous offre, pour parer son corps : (Gobryas et Gadatas venaient d’apporter une grande quantité d’ornemens précieux). D’autres honneurs encore lui sont réservés : on lui élèvera un tombeau digne de vous et lui on immolera en son honneur les victimes qui conviennent aux mânes d’un héros. Et vous, vous ne resterez point sans appui ; j’honorerai votre sagesse et toutes vos vertus ; je vous donnerai quelqu’un pour vous conduire partout où il vous plaira d’aller : dites dans quel lieu vous désirez qu’on vous mène. — Seigneur ne vous en mettez pas en peine ; je ne vous cacherai point auprès de qui j’ai dessein de me rendre. »

Après cet entretien, Cyrus se retira, gémissant sur le sort de la femme qui venait de perdre un tel mari, du mari qui ne devait plus revoir une telle femme. Panthée fit éloigner ses eunuques, sous prétexte de se livrer sans contrainte à sa douleur, et ne retint auprès d’elle que sa nourrice, à qui elle ordonna d’envelopper, dans le même tapis, le corps de son mari et le sien, quand elle ne serait plus. La nourrice essaya, par ses prières, de la détourner de son funeste projet : mais voyant que les supplications ne servaient qu’à irriter sa maîtresse, elle s’assit en pleurant. Alors Panthée tire un poignard dont elle s’était munie depuis long-temps, se frappe ; et posant sa tête sur le sein de son mari, elle expire. La nourrice, en poussant des cris douloureux, couvrit les corps des deux époux, suivant l’ordre qu’elle avait reçu.

Bientôt Cyrus est informé de l’action de Panthée : consterné de la nouvelle, il accourt pour voir s’il pourrait la secourir. Les eunuques, témoins du désespoir de leur maîtresse (ils étaient trois), se percèrent de leurs poignards, dans le lieu même où elle leur avait ordonné de se tenir. On raconte que le monument qui fut érigé aux deux époux et aux eunuques, existe encore aujourd’hui ; que sur une colonne élevée sont les noms du mari et de la femme, écrits en caractères syriens, et que sur trois colonnes plus basses, on lit cette inscription : Des eunuques. Cyrus, après avoir vu ce triste spectacle, s’en alla rempli d’admiration pour Panthée, et pénétré de douleur. Par ses soins, on rendit aux morts les honneurs funèbres, avec la plus grande pompe ; il leur fit élever un vaste monument.

Chap. 4. Vers ce même temps, les Cariens, dont le pays renferme des places-fortes, étaient divisés en deux factions qui se faisaient la guerre, et qui implorèrent l’une et l’autre le secours de Cyrus. Ce prince était alors à Sardes : il y faisait construire des machines et des beliers, pour battre les