Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/747

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XÉNOPHON.

de plus de vêtemens qu’ils n’en peuvent porter, autrement ils étoufferaient. Aussi, ces biens superflus ne sont pour eux qu’une source d’embarras. Pour moi, cédant à un penchant naturel, je convoite toujours de nouvelles richesses ; mais lorsque je les acquiers, je subviens aux besoins de mes amis, après avoir satisfait aux miens. En enrichissant les uns, en faisant du bien aux autres, je m’assure une amitié bienveillante d’où je recueille le repos et la gloire, fruits incorruptibles qu’on peut accumuler sans craindre qu’ils s’altèrent. La gloire a cela de propre, qu’elle s’embellit en croissant ; que ses accroissemens en allègent le poids, et qu’elle communique une sorte de légèreté à ceux qui en sont comblés. Apprends, Crésus, que je n’envisage pas comme le souverain bonheur, d’avoir de grands biens uniquement pour les garder : si c’était là le bonheur, rien n’égalerait celui des soldats en garnison dans une ville, puisqu’ils gardent tout ce qu’elle renferme. Celui-là seul, à mon avis, est vraiment heureux par les richesses, qui, après les avoir amassées par des voies justes, sait en user avec noblesse. » Tels étaient les discours de Cyrus ; sa conduite y répondait.

Sa vigilance s’étendait à tout. Il avait observé que les hommes, tant qu’ils se portent bien, sont attentifs à se procurer et à mettre en réserve tout ce qui sert dans l’état de santé, et qu’ils négligent de se munir de ce qui est utile dans le cas de maladie. Voulant remédier à ce défaut de prévoyance, et ne rien épargner sur ce point, il appela auprès de lui d’habiles médecins. Il n’entendait point parler d’instrumens utiles, de remèdes, d’alimens, de liqueurs salutaires, qu’il ne voulût en avoir une provision. Si quelqu’un de ceux à qui il s’intéressait particulièrement, était attaqué d’une maladie, il veillait lui-même à son traitement, et lui faisait donner les secours nécessaires. Le malade recouvrait-il la santé, Cyrus remerciait les médecins de l’avoir guéri avec ses remèdes. Tels étaient entre beaucoup d’autres, les ressorts qu’il employait pour obtenir le premier rang auprès de ceux dont il désirait l’amitié.

Quant aux jeux qu’il proposait, aux prix qu’il assignait pour entretenir une noble émulation, s’ils méritaient des éloges à Cyrus, parce qu’il fournissait par-là des encouragemens à la vertu, ils excitaient aussi des contestations et des disputes entre les grands.

De plus, il avait presque fait une loi à tous ceux qui auraient ou un procès à juger ou quelques différens à l’occasion des jeux, de prendre de concert des juges pour les terminer. On comprend aisément que les deux parties ne manquaient pas de choisir pour juges, ceux des grands auxquels elles étaient le plus attachées ; et il résultait de ces jugemens, que le vaincu, jaloux de son adversaire, devenait ennemi des juges qui ne lui avaient pas été favorables, et que le vainqueur, attribuant son succès à la bonté de son droit, croyait n’avoir obligation à personne.

Il régnait parmi ceux qui prétendaient au premier rang dans l’amitié du prince, une autre espèce de jalousie, celle qui existe entre les citoyens d’une même république : la plupart, loin de se rendre réciproquement de bons offices, ne cherchaient qu’à se supplanter les uns les autres. Je viens de dévoiler les artifices qu’employait Cyrus pour se faire aimer des grands plus qu’ils ne s’aimaient entre eux.

Chap. 3. Racontons maintenant avec quel appareil Cyrus sortit la première fois de son palais : la pompe imposante de sa marche petit être regardée comme