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lui avaient servi à la faire. Il prit les mœurs des Perses, pour ne pas désoler les Perses en leur faisant prendre les mœurs des Grecs ; c’est ce qui fit qu’il marqua tant de respect pour la femme et pour la mère de Darius, et qu’il montra tant de continence. Qu’est-ce que ce conquérant qui est pleuré de tous les peuples qu’il a soumis ? Qu’est-ce que cet usurpateur, sur la mort duquel la famille qu’il a renversée du trône verse des larmes ?

» Rien n’affermit plus une conquête que l’union qui se fait des deux peuples par les mariages. Alexandre prit des femmes de la nation qu’il avait vaincue ; il voulut que ceux de sa cour en prissent aussi ; le reste des Macédoniens suivit cet exemple. Quand les Romains voulurent affaiblir la Macédoine, ils y établirent qu’il ne pourrait se faire d’union par mariage entre les peuples des provinces.

» Alexandre, qui cherchait à unir les deux peuples, songea à faire dans la Perse un grand nombre de colonies grecques ; il bâtit une infinité de villes, et il cimenta si bien toutes les parties de ce nouvel empire, qu’après sa mort, dans le trouble et la confusion des plus affreuses guerres civiles, après que les Grecs se furent, pour ainsi dire, anéantis eux-mêmes, aucune province de la Perse ne se révolta. »

Voilà deux pages de l’Esprit des lois qui résument toute l’histoire des expéditions d’Alexandre. Quel est le militaire, je le demande, qui pourrait se flatter de porter un coup-d’œil plus juste sur les travaux de ce grand capitaine ? Et combien ce jugement diffère de ce que nous lisons dans les autres écrivains !

Le seul reproche que l’homme de guerre puisse adresser réellement au héros macédonien, c’est d’avoir obtenu des succès trop vifs et trop rapides. On ne trouve point dans les campagnes d’Alexandre, de ces marches fines et insidieuses qui ont fait briller Annibal et plusieurs généraux de l’ancienne Rome ; il semble, comme le dit Montesquieu, que l’empire de l’univers ne soit plus que le prix de la course.

Mais s’il manque un fleuron à la couronne d’Alexandre, il n’a pas dépendu de lui de le conquérir. On lui opposait une multitude de barbares, mal disciplinés et conduits par des chefs inhabiles ; il les dissipait au moyen de la supériorité de ses manœuvres. Alors des royaumes entiers se soumettaient, et il volait à de nouvelles victoires. Si ce prince avait eu en tête d’autres troupes, et des généraux plus expérimentés, sa méthode aurait été différente, et l’on ne peut douter qu’arrêté à chaque pas par des artifices nouveaux, il n’eût trouvé dans son génie ces combinaisons sublimes qui naissent des obstacles, et parviennent toujours à les surmonter. On peut voir par un seul exemple comment entendaient la guerre les généraux qui s’étaient formés sous lui.

Alexandre était mort à l’âge de trente-deux ans, laissant son héritage au plus digne. Ses principaux capitaines se partagèrent les gouvernemens de l’empire ; Perdiccas fut nommé régent des princes désignés pour successeurs. Quoiqu’aucun des généraux d’Alexandre n’eût osé s’emparer de la souveraineté, ils étaient tous trop puissans pour demeurer paisibles, et bientôt, dans les trois parties de l’empire, la guerre civile éclata. L’une était sous le commandement de Perdiccas, soutenu par Eumènes ; Ptolémée, Antipater et Cratérus, se trouvaient à la tête de l’autre ; Antigone défendait la troisième, qui devint la plus puissante.

Eumènes avait eu en partage la Cap-