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LA CYROPÉDIE, LIV. VIII.

le maître. En même temps il lui offrit des présens d’un grand prix. Cyaxare les ayant acceptés, fit présenter à Cyrus, par sa fille, une couronne d’or, des bracelets, un collier, et une superbe robe médique. Pendant que la jeune princesse couronnait Cyrus : « C’est ma fille, dit Cyaxare ; je vous la donne pour femme ; votre père épousa de même la fille de mon père, de laquelle vous êtes né ; la mienne est cette enfant que vous ne cessiez de caresser ici dans votre jeunesse : si quelqu’un alors lui demandait qui elle aurait pour mari, elle répondait, Cyrus. Je lui donne en dot la Médie toute entière, puisque je n’ai point de fils légitime. » Ainsi parla Cyaxare. « Je sens, répliqua Cyrus, le prix de l’alliance, de la personne, de la dot ; mais je veux, avant de vous répondre, avoir le consentement de mon père et de ma mère. » Cependant il fit à la princesse les présens qu’il crut lui devoir plaire davantage ainsi qu’à Cyaxare, et reprit ensuite la route de la Perse.

Quand il fut arrivé sur la frontière, il y laissa le gros de son armée, et s’avança vers la ville avec ses amis, suivi d’une grande quantité de bétail tant pour les sacrifices que pour le festin qu’il avait résolu de donner à la nation, et chargé de présens pour son père, pour sa mère, pour ses amis, pour les magistrats, pour les vieillards et les homotimes. Tous les Perses, hommes et femmes, eurent part à ses largesses. Les rois ses successeurs imitent encore aujourd’hui son exemple, toutes les fois qu’ils visitent la Perse. Après cette distribution, Cambyse convoqua une assemblée des anciens, et des principaux magistrats, à laquelle il invita Cyrus, et leur tint ce discours :

« Vous savez tous, vous mes sujets, vous mon fils, avec quelle tendresse je vous aime. Ce sentiment que je vous dois, à vous Perses, comme votre roi, à vous Cyrus, comme votre père, me porte à vous proposer des réflexions que je crois relatives à vos intérêts communs. Si nous jetons les yeux sur le passé, il est certain que c’est vous Perses, qui, en formant une armée dont vous confiâtes le commandement à Cyrus, avez été les premiers artisans de sa grandeur : mais il n’est pas moins vrai que c’est Cyrus qui, avec son armée et l’assistance des Dieux, a rendu votre nom célèbre dans l’univers et rempli l’Asie de votre gloire ; que c’est par lui qu’ont été enrichis les braves qui ont servi sous ses ordres ; que c’est lui qui a stipendié et nourri vos soldats ; qu’enfin c’est lui qui en établissant un corps de a cavalerie nationale, a mis les Perses a en état d’être toujours les maîtres en rase campagne. Si vous ne perdez pas de vue que vous êtes liés ensemble par des obligations réciproques, votre bonheur mutuel s’accroîtra de jour en jour : mais si, vous Cyrus, enflé de votre fortune, vous voulez gouverner tyranniquement les Perses, comme un peuple conquis ; si vous Perses, jaloux de la puissance de Cyrus, vous cherchez à y porter atteinte, vous arrêterez vous-mêmes le cours de vos prospérités.

Un moyen de prévenir ce malheur, et même de vous assurer pour l’avenir de nouveaux avantages, c’est d’offrir aux Dieux un sacrifice en commun, et de vous promettre en leur présence, vous Cyrus, que si quelqu’un entre à main armée dans la Perse ou entreprend d’en détruire les lois, vous la défendrez de toutes vos forces ; vous Perses, que si quelqu’un cherche à dépouiller Cyrus de l’empire, ou à détacher de son obéissance les nations qu’il a soumises, vous volerez