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LA CYROPÉDIE, LIV. VIII.

qu’on en a maintenant que leur mauvaise foi est reconnue ; et les chefs des troupes qui depuis accompagnèrent Cyrus le jeune dans son expédition, ne se seraient pas fiés à leurs parole. On sait que ces capitaines, trompés par l’ancienne opinion de la bonne foi des Perses, se livrèrent eux-mêmes entre leurs mains, et, conduits devant le roi, eurent la tête tranchée : quantité de barbares de la même expédition, séduits également par de fausses promesses, périrent misérablement.

Les Perses sont encore plus pervers à présent qu’ils ne l’étaient alors. Autrefois, les honneurs étaient réservés à ceux qui exposaient leur vie pour le service du roi, qui lui soumettaient une ville, qui subjuguaient une nation, qui se signalaient par quelque belle action. Aujourd’hui, qu’à l’exemple ou d’un Mithridate qui trahit son père Ariobarzane, ou d’un Rhéomithrès qui, au mépris des sermens les plus sacrés, a laissé pour otages en Égypte, sa femme, ses enfans, les enfans de ses amis, on commette une perfidie, pourvu qu’elle tourne au profit du prince, on est magnifiquement récompensé. De là, par l’influence que les mœurs du peuple dominant ont toujours sur celle du peuple assujetti, toutes les nations asiatiques sont devenues injustes et perfides. Voilà déjà un point sur lequel les Perses sont pires de nos jours qu’ils n’étaient autrefois.

Leur dépravation ne se manifeste pas moins par leur avidité pour l’argent. Les criminels ne sont plus, comme anciennement, les seuls qu’on mette aux fers : on emprisonne des innocens, pour les forcer, contre toute équité, de racheter leur liberté à prix d’argent ; en sorte que ceux qui possèdent de grandes richesses ne craignent pas moins que ceux qui ont commis de grands délits. Ils n’osent ni combattre un ennemi puissant, ni joindre l’armée du roi quand elle entre en campagne : d’où il arrive que tout peuple en guerre avec les Perses, peut faire impunément à son gré des courses dans le pays, juste punition de leur impiété envers les Dieux, et de leurs injustices envers les hommes ; nouvelle preuve qu’ils ont étrangement dégénéré de leur ancienne vertu.

Je passe aux changemens qui sont survenus dans leur manière de vivre. Une loi défendait de cracher et de se moucher : la loi avait pour objet, non sans doute de ménager une humeur superflue, mais de les fortifier en les accoutumant à la consumer par la fatigue et par la sueur. Ils ont, à la vérité, conservé l’usage de ne point cracher et de ne se point moucher ; mais ils ont perdu celui de travailler.

Suivant une autre loi, ils ne devaient manger qu’une fois le jour, afin de pouvoir donner le reste du temps au soin de leurs affaires et aux exercices du corps. Ils ont retenu la pratique de ne faire qu’un repas : mais ils le continuent jusqu’à l’heure où se couchent ceux qui aiment le plus à veiller.

Il leur était défendu de faire porter des prochoïdes aux repas, parce qu’on pensait que l’excès de la boisson énerve à-la-fois le corps et l’âme. La défense subsiste encore ; mais ils boivent avec si peu de retenue, qu’au lieu de porter ces vases, ce sont eux-mêmes que l’on remporte ; ils n’ont plus la force de se soutenir assez pour sortir.

Leurs pères, selon une pratique ancienne, ne buvaient ni ne mangeaient jamais en route, et ne se permettaient de satisfaire publiquement aucun des besoins qui en sont la suite. Cette pratique subsiste encore ; mais ils font des marches si courtes, que leur abstinence n’a rien de merveilleux.