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XÉNOPHON.

vous cherchez réciproquement à vous nuire ; vous perdrez toute confiance dans l’esprit des autres hommes. En effet, avec la meilleure volonté, pourrait-on se fier à vous, si l’on vous voyait injustes envers l’être que vous avez le plus de raisons d’aimer ?

Si vous goûtez les instructions que je vous donne sur la manière de vous comporter l’un à l’égard de l’autre, suivez-les ; si elles vous paraissent insuffisantes, consultez l’histoire des siècles passés, c’est une excellente école. Vous y verrez des pères qui ont tendrement aimé leurs enfans, et des frères qui ont vécu dans l’union la plus intime : vous en verrez d’autres qui ont donné l’exemple d’une conduite opposée. Parmi des hommes si différens, choisissez pour modèles ceux qui se sont le mieux trouvés de leur conduite, et vous serez sages. Mais je crois vous en avoir dit assez. Lorsque je ne serai plus, ô mes enfans ! n’ensevelissez mon corps ni dans l’or, ni dans l’argent, ni dans quelque matière que ce soit ; rendez-le promptement à la terre. Quoi de plus satisfaisant que d’être réuni à cette mère commune, qui produit, qui nourrit tout ce qui existe de bon ! J’ai toujours trop chéri les hommes, pour ne pas ressentir une sorte de joie de ce que bientôt je ferai partie de la bienfaitrice des hommes. Mais je sens que mon âme m’abandonne : je le sens aux symptômes qui annoncent ordinairement notre dissolution.

Si quelqu’un d’entre vous désire toucher ma main, et considérer dans mes yeux un reste de vie, qu’il approche. Quand j’aurai couvert mon visage, je vous prie, mes enfans, que mon corps ne soit vu de personne, pas même de vous. Invitez les Perses et nos alliés à se rassembler autour de mon tombeau, pour me féliciter de ce que je serai désormais en sûreté, à l’abri de tout événement fâcheux, soit que j’existe dans le sein de la divinité, ou que je sois réduit au néant. Que tous ceux qui s’y rendront s’en retournent après avoir reçu de vous les dons qu’on distribue aux funérailles d’un homme heureux. Enfin, n’oubliez jamais ce mot : c’est en faisant du bien à vos amis, que vous serez en état de réprimer vos ennemis. Adieu, chers enfans ; portez mes adieux à votre mère. Adieu, tous mes amis présens et absens. » Quand il eut cessé de parler, il présenta sa main à tous ceux qui l’entouraient ; puis, s’étant couvert le visage, il expira.

Chap. 8. Il est hors de doute que le royaume de Cyrus a été le plus florissant et le plus étendu de toute l’Asie : il avait pour bornes, comme je l’ai déjà dit, à l’orient la mer Érythrée, au septentrion le Pont-Euxin, à l’occident Cypre et l’Égypte, au midi l’Éthiopie. Cyrus gouvernait seul cette vaste étendue de pays : il aimait et traitait ses sujets comme ses enfans ; ses sujets l’honoraient comme un père. Mais à peine eut il fermé les yeux, que la discorde divisa ses deux fils : des villes, des nations entières se détachèrent de leur obéissance ; l’on vit bientôt une décadence générale. Je vais justifier ce que j’avance, en commençant par ce qui concerne la religion.

Anciennement, lorsque le prince ou les grands avaient donné leur parole, soit avec serment, soit par la simple présentation de la main, fût-ce même à ceux qui s’étaient rendus coupables de quelque crime, ils la gardaient inviolablement : s’ils avaient été moins fidèles à leurs promesses, et qu’on eût pu les soupçonner d’y manquer, on n’aurait pas eu plus de confiance en eux