Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/785

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
784
ARRIEN, LIV. I.

de Sigée, plusieurs des Grecs et des indigènes suivirent cet exemple.

Alexandre couronna le tombeau d’Achille, et Éphestion celui de Patrocle. Heureux Achille, s’écria le prince, d’avoir eu Homère pour héraut de ta gloire ! Certes, il eut raison d’envier le bonheur d’Achille ; car il n’a manqué au sien que ce dernier trait : personne encore n’a dignement célébré en prose, en vers, en dithyrambes, ses exploits à l’égal de ceux d’un Hiéron, d’un Gélon, d’un Théron qui, sous aucun rapport, ne lui sont comparables.

Les plus petites actions nous sont mieux connues que les grandes choses qu’il a faites. L’expédition des Grecs et de Cyrus contre Artaxerxès ; la défaite de Cléarque et de ceux qui furent pris avec lui ; la retraite des dix mille sous la conduite de Xénophon, ont été rendues par la plume de ce grand homme, beaucoup plus illustres que ne furent Alexandre et toutes ses conquêtes. Cependant il n’alla point réunir ses troupes à des troupes étrangères ; on ne le vit pas, fuyant devant le grand roi, borner ses exploits à se retirer par la mer, en écartant ceux qui en fermaient l’approche. Nul d’entre les mortels, n’a seul, soit parmi les Grecs, soit parmi les Barbares, marqué par des faits plus grands ni plus nombreux. Voilà ce qui m’a porté à entreprendre d’écrire cette histoire, ne m’estimant point indigne de transmettre les gestes d’Alexandre à la postérité. Mais qui suis-je pour m’exprimer avec cette hauteur ! Que vous importe de connaître mon nom, qui n’est point obscur, ma patrie, ma famille, mes dignités. Que d’autres s’enorgueillissent de ces titres, les miens sont dans les lettres que j’ai cultivées depuis mon enfance. Si Alexandre est au premier rang parmi les guerriers, je me flatte de ne pas tenir le dernier parmi les écrivains de mon siècle.

D’Ilion, Alexandre tourne vers Arisbe où campait toute l’armée après avoir traversé l’Hellespont. Le lendemain, laissant derrière lui Percote et Lampsaque, il vint camper sur les bords du Prosaction qui, tombant du mont Ida, va se perdre dans la mer entre l’Hellespont et l’Euxin ; de là, il passe par Colonne, arrive à Hermote. Il fait voltiger en avant de l’armée des corps d’éclaireurs, sous la conduite d’Amyntas, composés de quatre compagnies d’avant-coureurs et d’une compagnie d’hétaires apolloniates, commandés par Socrate : en passant il détache l’un d’entre eux, Panegore, avec une suite pour prendre possession de la ville de Priam qui s’était rendue.

Les généraux de l’armée des Perses, Arsame, Rhéomithres, Pétène, Niphates, Spithridates, Satrape de Lydie et d’Ionie, Arsite, gouverneur de la Phrygie qui regarde l’Hellespont, campaient près de la ville de Zélie avec la cavalerie persique et l’infanterie grecque, à la solde de Darius. Ils tiennent conseil à la nouvelle du passage d’Alexandre. Memnon, de Rhodes, opina pour ne point hasarder la bataille contre les Macédoniens, supérieurs en infanterie, et soutenus des regards de leur prince, tandis que celui des Perses était absent. Il fut d’avis de faire fouler aux pieds de la cavalerie et de détruire tous les fourrages, d’incendier toutes les moissons ; de ne pas même épargner les villes de la côte, de manière à priver Alexandre de tout moyen de subsistance, et à le forcer à la retraite.

Mais Arsite se levant : « Je ne souffrirai point que l’on brûle une seule habitation du pays où je commande. » Cet avis prévalut ; les Perses crurent que Memnon ne cherchait qu’à conserver