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ARRIEN, LIV. II.

de ses troupes légères, ni étaler l’appareil de son armée, que pour préparer aux Grecs une victoire facile. En effet, les décrets éternels voulaient transporter l’empire de l’Asie, des Perses aux Macédoniens, comme il l’avait été des Assyriens aux Mèdes, et des Mèdes aux Perses.

Darius franchit donc le pas Amanique, et marche vers Issus ayant l’imprudence de laisser Alexandre derrière lui. Maître de la ville, il fait périr cruellement les malades qu’Alexandre y avait laissés. Le lendemain il s’avance aux bords du Pinare.

Alexandre ne pouvant croire que Darius l’eût laissé sur ses derrières, fait monter quelques hétaires sur un triacontère pour aller à la découverte : à la faveur des sinuosités du rivage, ils découvrent le camp des Perses vers Issus, et reviennent annoncer à Alexandre qu’il tient Darius.

Il assemble les stratèges, les Ilarques et les chefs des troupes auxiliaires : « Rappelez-vous tous vos exploits et redoublez de confiance ; vainqueurs, vous allez attaquer des vaincus : un Dieu combat pour nous ; c’est lui qui a poussé Darius à quitter de vastes plaines, pour s’enfermer dans cet espace étroit où notre phalange peut bien se développer, mais où le grand nombre de ses troupes devient inutile ; ils ne nous sont comparables ni en force ni en courage. Vous, Macédoniens, endurcis, aguerris par toutes les fatigues des combats, vous marchez contre les Perses et les Mèdes amollis depuis long-temps par le repos et les plaisirs. Libres, vous combattez des esclaves. Les Grecs de chaque parti n’ont point le même avantage. Ceux de Darius se battent pour une solde misérable, ceux qui accompagnent les Macédoniens, pour la Grèce et volontairement. Si l’on considère les auxiliaires, ici les Thraces, les Péones, les Illyriens, les Agriens les plus forts et les plus belliqueux des peuples de l’Europe, et là des Asiatiques énervés et efféminés : enfin, c’est Alexandre contre Darius. Tels sont les avantages dans le combat ; mais que d’autres dans le succès ! Vous n’avez plus devant vous les satrapes de Darius, la cavalerie du Granique, les vingt mille soldats étrangers ; voilà toutes les forces des Perses et des Mèdes, toutes les nations qui leur obéissent dans l’Asie, le grand roi lui-même : cette journée vous livre tout, vous commandez à l’Asie entière, et vos nobles travaux sont à leur terme. »

Alexandre leur rappelle alors les victoires qu’ils avaient remportées en commun, faisant ressortir les exploits de chacun d’eux qu’il cite nominativement, et parlant même des siens, mais avec retenue ; il fut jusqu’à rapporter la retraite de Xénophon et les exploits des dix mille qui ne pouvaient, sous aucun rapport, être comparés aux leurs. Ils n’avaient, en effet, ni les chevaux, ni les troupes de la Béotie et du Péloponnèse, ni les Macédoniens, ni les Thraces, ni aucune cavalerie semblable à la leur, ni frondeurs et hommes de trait, à la réserve de quelques Crétois et de quelques Rhodiens levés à la hâte par Xénophon ; et que, cependant, dénués de toutes ces ressources, ils avaient, sous les murs de Babylone, mis en fuite le grand roi avec son armée, et dompté dans leur retraite toutes les nations qui avaient voulu leur fermer la route du Pont-Euxin. Il ajouta tout ce qu’un grand général peut rappeler avant le combat à des soldats éprouvés. Ils se disputent l’honneur de l’embrasser ; l’élèvent jusqu’au ciel, et demandent à

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