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ARRIEN, LIV. IV.

de la Grèce, Asandre et Néarque amenaient de nouvelles recrues : Asclépiodore commandant de la flotte et le satrape de Syrie les suivent avec d’autres bandes.

Alexandre ayant convoqué tous les chefs de l’armée, fait amener Bessus en leur présence, lui reproche sa perfidie envers Darius, lui fait couper le nez et les oreilles, et l’envoie pour être supplicié à Ecbatane, où le commerce rassemblait en foule les Mèdes et les Perses.

Je suis loin d’approuver cette vengeance horrible, cette mutilation atroce à laquelle Alexandre ne se fût jamais porté, s’il n’y eût été entraîné par l’exemple des souverains Mèdes, Perses ou autres barbares dont il revêtit l’orgueil avec les dépouilles. Je n’approuve pas non plus le changement de costume en un prince de la race des Héraclides, qui préfère celui des Mèdes à celui de ses pères, et qui ne rougit pas de remplacer le casque du vainqueur par la tiare des Perses vaincus.

Au reste, les hauts faits d’Alexandre nous donnent une grande leçon. Qu’un mortel soit comblé de tous les dons de la nature, qu’il brille par l’éclat de sa naissance, que sa fortune et ses vertus guerrières l’emportent sur celles d’Alexandre, qu’il subjugue l’Afrique et l’Asie comme celui-ci se l’était proposé, qu’il joigne l’Europe à son empire, il n’aura rien fait pour le bonheur, si, même au milieu des succès les plus inouïs, il ne conserve la plus grande modération.

Chap. 3. Ces réflexions amènent naturellement le récit du meurtre de Clitus, quoi qu’il n’ait eu lieu que quelque temps après.

Les Macédoniens avaient fixé la fête de Bacchus à un jour particulier, dans lequel Alexandre sacrifiait, chaque année, à ce Dieu ; mais alors, négligeant le culte de Bacchus, il consacra ce jour aux Dioscures, et depuis il institua en leur honneur des sacrifices suivis d’un festin. Après avoir vidé un grand nombre de coupes, selon l’usage des Barbares imités par Alexandre, toutes les têtes échauffées par le vin, on parla des Dioscures dont on faisait remonter l’origine à Jupiter et non pas à Tyndare. Quelques uns des convives, quelques flatteurs (et cette peste fut et sera toujours la ruine des rois et des empires), avancèrent que les exploits de Castor et Pollux ne pouvaient se comparer à ceux d’Alexandre. D’autres osèrent blasphémer contre Hercule, et détestèrent le démon de l’envie qui empêche les héros de recevoir dès leur vivant les honneurs qui leur sont dus.

Clitus, irrité de longue main du changement d’Alexandre et des flatteries de ses courtisans ; animé par le vin et supportant d’ailleurs impatiemment l’offense faite aux Dieux, et l’abaissement injurieux de la gloire des anciens héros pour relever celle du conquérant. « Et qu’a-t-il donc fait de si grand, de si admirable pour mériter de tels éloges ? A-t-il acquis seul la gloire de ses conquêtes, n’en doit-il pas une grande partie aux Macédoniens ? »

Le discours de Clitus offense Alexandre. Je ne saurais ici l’approuver ; dans une orgie, le plus sage était de garder le silence, et de ne point mêler sa voix à celle des flatteurs.

D’autres cependant rappellent les exploits de Philippe, les rabaissent et vont jusqu’à les contester pour rehausser ceux de son fils. Clitus, hors de lui, commence l’éloge de Philippe et la satire d’Alexandre, s’exhale en reproches amers ; et tendant vers lui la main en le bravant : « Alexandre, sans le secours de ce bras, tu périssais dès le Granique. »

Enflammé de colère par l’outrage et