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ARRIEN, LIV. V.

grossies par les pluies abondantes qui tombent dans les Indes pendant le solstice d’été ; ajoutez que les chaleurs fondent les neiges sur le Caucase où la plupart des fleuves de l’Inde prennent leur source. Leur cours en est troublé et rendu plus rapide ; mais en hiver ils rentrent dans leur lit, et, à l’exception du Gange, de l’Indus et de quelque autre, on peut les traverser à pied, ainsi que l’Hydaspe.

Alexandre avait répandu le bruit qu’il attendrait ce moment. D’un autre côté, les radeaux et les bâtimens conduits sur différens points du fleuve, toutes les troupes qui couvrent son rivage, tenaient l’ennemi en haleine, et ne lui permettaient pas de prendre un parti décisif.

Alexandre, du fond de son camp, observait tous les mouvemens, et épiait l’instant d’effectuer le passage à l’improviste et à l’insu de l’ennemi. Il reconnaissait la difficulté de passer en face de Porus ; le nombre des éléphans, celui des Indiens tous bien armés, et disposés au combat, prêts à tomber sur les Grecs au sortir du fleuve, l’inquiétaient d’autant plus, qu’il prévoyait que l’aspect et les cris des éléphans mettraient sa cavalerie en désordre, qu’on ne pourrait être maître des chevaux qui se précipiteraient dans le fleuve ; il sentit qu’il fallait avoir recours à la ruse : voici celle qu’il employa.

La nuit, il fait courir sa cavalerie le long du rivage, pousser de grands cris et sonner les trompettes, comme si on eût effectué le passage pour lequel tout était disposé. À ce bruit, Porus accourt aussitôt sur le rivage ; Alexandre de rester en bataille sur le bord. Cette feinte étant répétée, et Porus, ayant reconnu que le mouvement se bornait à des cris, cesse de s’ébranler alors qu’on les répète, et se contente d’envoyer des éclaireurs sur les différens points du rivage.

Alexandre, voyant Porus tranquille, songe à exécuter son dessein. À cent cinquante stades du camp, s’élevait un rocher que tourne l’Hydaspe : en face, et au milieu du fleuve, s’offre une île déserte ; l’un et l’autre sont couverts de bois ; Alexandre, après les avoir reconnus, les jugea très propres à masquer le passage de ses troupes. Il avait établi le long du rivage des gardes avancées assez rapprochées pour communiquer facilement. Pendant plusieurs nuits, il fait pousser de grands cris, et allumer des feux sur différens points. Le jour destiné au passage, il en fait les dispositions dans son camp, à la vue de l’ennemi. Cratérus doit y rester avec son corps de cavalerie, les Arachotiens et les Paropamisades, la phalange des Macédoniens, les bandes d’Alcétas et de Polysperchon, les cinq mille Indiens auxiliaires et leurs chefs. Il a l’ordre de ne passer le fleuve que lorsque Porus serait ébranlé et vaincu. « Si Porus ne marche contre moi qu’avec une partie de son armée, sans emmener les éléphans, ne bougez ; dans le cas contraire, passez aussitôt : la cavalerie ne peut être repoussée que par les éléphans ; le reste de l’armée ne saurait vous arrêter. »

Entre l’île et le camp, Méléagre, Attalus et Gorgias, avec la cavalerie et l’infanterie des stipendiaires, reçoivent l’ordre de passer le fleuve par détachemens, aussitôt que l’action sera engagée avec Porus.

Alexandre, à la tête de l’Agéma, des Hétaires, des chevaux d’Éphestion, de Perdiccas et de Démétrius, des Bactriens, des Sogdiens, de la cavalerie scythe, des archers Dahes à cheval, des Hypaspistes de la phalange, des bandes de Clitus et de Cœnus, des archers et des Agriens, s’éloigne assez du