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ARRIEN, LIV. V.

rivage pour dérober sa marche à l’ennemi, et se dirige vers le rocher. On dispose pendant la nuit les radeaux. L’orage qui vint alors à éclater, le bruit du tonnerre couvrant celui des apprêts et des armes, et la pluie, dérobèrent à l’ennemi les préparatifs d’Alexandre. Protégé par la forêt, on ajuste les bâtimens et les triacontères.

Au point du jour, et l’orage appaisé, Alexandre effectue le passage ; une bonne partie de l’infanterie et de la cavalerie passe dans l’île, les uns sur des bâtimens, les autres sur des radeaux. Les éclaireurs de Porus ne s’aperçoivent du mouvement des Grecs qu’au moment où ceux-ci touchent presque à la rive opposée.

Alexandre monte lui-même un triacontère, et aborde avec Ptolémée, Perdiccas et Lysimaque, ses gardes, Séleucus, un des Hétaires qui fut depuis son successeur, et la moitié des Hypaspistes ; l’autre moitié passe séparément. Les éclaireurs courent à toutes brides en donner avis à Porus.

Alexandre touche à terre le premier, range avec ses généraux la cavalerie en bataille à mesure qu’elle arrive. (Elle avait reçu l’ordre de passer la première.)

Le prince marchait à la tête contre l’ennemi, quand il reconnut qu’il était dans une autre île fort grande (ce qui avait causé son erreur) et qui n’était séparée de terre que par un canal assez étroit ; mais la pluie tombée pendant la nuit l’avait grossi au point que la cavalerie, ayant peine à trouver un gué, crut que ce bras du fleuve serait aussi difficile à passer que les deux autres. On le traversa cependant malgré la hauteur des eaux, les chevaux en eurent jusqu’au poitrail, et l’infanterie jusque sous les bras.

Le fleuve passé, Alexandre place à l’aile droite l’agéma de sa cavalerie avec l’élite des Hipparques ; il jette en avant les archers à cheval, les fait suivre par l’infanterie des Hypaspistes royaux, sous les ordres de Séleucus ; vient ensuite l’agéma royal et le reste des Hypaspistes, chacun dans le rang que ce jour lui avait assigné ; les côtés de la phalange sont flanqués d’archers, d’Agriens et de frondeurs.

L’ordre de bataille ainsi disposé, il laisse derrière lui six mille hommes d’infanterie qui doivent le suivre au pas. Il court à la tête de cinq mille chevaux contre l’ennemi, auquel il croit sa cavalerie supérieure. Tauron, Toxarque, le soutiendra de suite avec ses archers. Si Porus venait à sa rencontre avec toute son armée, il espérait la mettre en déroute du premier choc de la cavalerie, ou du moins soutenir le combat jusqu’à l’arrivée de l’infanterie. Si les Indiens, épouvantés de son audace, se débandaient, il les poursuivait, en faisait une boucherie, et détruisait d’autant la masse de leurs forces pour un autre combat.

Aristobule raconte que le fils du monarque indien parut avec soixante chars sur le rivage, avant qu’on eût franchi la seconde île ; qu’il aurait pu alors s’opposer au passage des Grecs qui s’était même effectué difficilement, alors qu’ils n’avaient point été repoussés ; qu’il aurait pu tomber encore sur eux au moment où ils abordèrent, mais qu’il s’éloigna sans tenter aucune résistance ; qu’Alexandre détacha à sa poursuite les archers à cheval qui tuèrent à l’ennemi beaucoup de monde dans sa fuite.

Selon d’autres historiens, le fils de Porus, à la tête d’un nombre considérable d’Indiens, attaqua la cavalerie d’Alexandre au sortir du fleuve, blessa ce prince, et tua même son cheval Bucéphale qu’il chérissait beaucoup.

Mais Ptolémée le rapporte autrement,