Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/868

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
867
ARRIEN, LIV. VI.

LIVRE SIXIÈME.

Chapitre premier. Alexandre, ayant rassemblé sur les bords de l’Hydaspe plusieurs galères, savoir, des Triacontères et des Hémiolies avec des Hippagoges, résolut de naviguer jusque sur la grande mer. Et comme il avait remarqué que de tous les fleuves, l’Indus est le seul où l’on trouve des crocodiles ainsi qu’aux bords du Nil, et vu des fèves semblables à celles de l’Égypte sur les bords de l’Acésinès qui se décharge dans l’Indus, il s’imagina follement qu’il avait trouvé les sources du Nil. Il supposait que ce fleuve, prenant sa source dans les Indes, traversait des déserts immenses, y perdait son nom, et, arrivé enfin aux plaines cultivées de l’Éthiopie et de l’Égypte, recevait celui de Nil, ou selon Homère, d’Égyptus, et se jetait dans la Méditerranée.

Se fondant ainsi sur les conjectures les plus frivoles, à l’occasion d’un point de géographie très important, il écrivit à Olympias qu’il avait enfin trouvé les sources du Nil. Mieux éclairé depuis, instruit par les habitans que l’Hydaspe se décharge dans l’Acésinès, et celui-ci dans l’Indus, où ils perdent leurs noms, et que l’Indus qui n’a rien de commun avec l’Égypte, se rend dans la grande mer par deux embouchures, il effaça, dit-on, ce passage de sa lettre, et continua ses préparatifs pour l’embarquement. Il employa sur la flotte les Phéniciens, les Cypriens, les Cariens et les Égyptiens qui avaient suivi l’armée.

Sur ces entrefaites, l’un des Hétaires les plus intimes, Cœnus, est emporté par une maladie. On lui fait dans la circonstance des obsèques magnifiques. Tous les Hétaires et les envoyés de l’Inde rassemblés, Alexandre déclare en leur présence qu’il donne à Porus tout l’empire des Indes qu’il a conquises, comprenant sept nations, et au-delà de deux mille villes.

Il partage alors son armée ; il s’embarque avec tous les Hypaspistes, les archers, les Agriens et l’agéma de cavalerie. Cratérus, conduit sur la rive droite du fleuve une partie de la cavalerie et de l’infanterie ; sur la gauche marche Hephæstion avec le gros de l’armée et deux cents éléphans. Ils s’avanceront vers la capitale de Sopithès. Philippe, satrape du pays frontière de la Bactriane au-delà de l’Indus, doit les suivre dans trois jours. On renvoya aux Nyséens leurs chevaux. Le commandement de toute la flotte fut donné à Néarque, et celui du vaisseau que montait Alexandre à Onésicrite, lequel en impose dans son histoire alors qu’il se donne pour le commandant général de la flotte.

Cette flotte, au rapport de Ptolémée, dont je suis l’autorité, était composée de deux mille bâtimens, dont quatre-vingt triacontères ; le reste consistait en bâtimens légers et de transport. Tout étant disposé pour le départ, l’armée s’embarque au lever de l’aurore.

Alexandre sacrifie aux Dieux et au fleuve de l’Hydaspe, selon le rite grec et d’après l’avis des devins. Monté sur son vaisseau, il prend une coupe d’or, s’avance à la proue, épanche la liqueur dans le fleuve : il en invoque le Dieu et celui de l’Acésinès qui se réunit à l’Hydaspe pour se précipiter dans l’Indus ; il invoque aussi l’Indus et après les libations en l’honneur d’Hercule, père de sa race, d’Ammon et des autres Dieux qu’il révérait, la trompette sonne et annonce le départ de la flotte. Tous les vaisseaux s’ébranlent et s’avancent dans l’ordre fixé ; chacun garde la ligne qui sépare les bâtimens de guerre entre eux, et ceux-ci des bâtimens de transport, tous à une distance égale et nécessaire pour ne se point choquer.

55..