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ARRIEN, LIV. VI.

Cette manœuvre formait le plus beau spectacle : on entendait le bruit monotone et mesuré de cette multitude de rames qui, s’élevant ou s’arrêtant à la voix du Kéleustès, semblaient frapper toutes à-la-fois et en cadence le fleuve qui retentissait des cris des matelots. Ce bruit, ces cris étaient multipliés par les échos des rochers et des forêts qui bordaient le rivage élevé. Les chevaux, que l’on apercevait sur les hippagoges, étaient un nouvel objet d’étonnement pour les Barbares accourus en foule sur les deux rives. En effet, c’était la première fois que ce spectacle frappait leurs yeux ; l’antiquité même n’en avait pas été témoin, car Dionysus ne tenta point d’expédition navale. On vit les Indiens, sur le rivage, suivre long-temps la flotte ; attirés par ce bruit et par cette nouveauté, ils sortaient en foule des retraites les plus éloignées : la rive retentissait de chant barbares ; en effet, les Indiens aiment beaucoup la musique et la danse, qu’ils ont reçues de Dionysus et de ses bacchantes.

Alexandre arrive le troisième jour à l’endroit où Cratérus et Héphæstion l’attendaient campés sur les rives du fleuve. Deux jours après, Philippe se présente avec le reste de son armée. Alexandre l’envoya le long de l’Acésinès, Cratérus et Héphæstion reçoivent de nouvelles instructions.

Continuant sa navigation sur l’Hydaspe, qui lui offrit partout vingt stades au moins de largeur, il soumet en passant les peuples riverains, soit de force ou de composition. Il se portait avec rapidité sur les Malliens et les Oxydraques, peuples nombreux et belliqueux, qui, après avoir renfermé leurs femmes et leurs enfans dans leurs places fortes, se disposaient à lui livrer bataille. Il se hâtait pour les surprendre et les frapper au milieu même de leurs préparatifs.

Il arrive le cinquième jour au confluent de l’Hydaspe et de l’Acésinès. Le lit de ces fleuves s’y resserre ; leur cours en devient plus rapide. Les flots se choquent, se brisent et ouvrent en reculant sur eux-mêmes des gouffres profonds. Le fracas des vagues mugissantes retentit au loin. Les habitans du pays avaient instruit les Grecs de ces détails ; cependant à l’approche du confluent, le bruit était si épouvantable, que les rameurs laissèrent tomber les rames. La voix du Kéleustès est d’abord glacée d’horreur, bientôt elle se fait entendre : « Doublez de rames, rompez la force du courant. » Il faut sortir de ces détroits, éviter d’être engloutis dans ces gouffres tournoyans. Les vaisseaux ronds qui touchèrent les gouffres, soulevés par les vagues, furent rejetés dans le courant ; ceux qui les montaient en furent pour la peur. Les vaisseaux longs éprouvèrent plus de dommage dans cette situation, leurs flancs n’étant pas assez élevés pour rompre l’effort des vagues. Les hémiolies souffrirent, surtout le rang inférieur des rames s’élevant peu au-dessus des eaux. Entraînés de côté dans les gouffres, avant de pouvoir relever les rames, ces bâtimens étaient facilement brisés par la force des vagues ; deux, fracassés l’un contre l’autre, périrent avec leur équipage.

Au-delà le fleuve s’élargissait, son cours devenait moins rapide, sa navigation moins dangereuse. Alexandre aborde à la rive droite, qui offrait une rade ouverte aux vaisseaux. Un rocher s’avançait au milieu des ondes, il offrait un asile et un abri aux naufragés, Alexandre y recueillit les débris de sa flotte et de ses guerriers.

Après avoir réparé ses vaisseaux, il charge Néarque de poursuivre sa navigation jusqu’au territoire des Malliens, et courant sur les Barbares qui ne s’é-