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donné des ordres secrets, afin que, sous divers prétextes, on tînt les troupes prêtes au premier signal, choisit une nuit obscure, et s’éloigna sans bruit. Au lever de l’aurore, l’armée arriva sur les hauteurs du mont Dyndime, et Cyzique fut investie du côté de la terre.

Il paraît assez singulier qu’une armée, que les historiens font monter à trois cent mille hommes, ait pu faire un pareil mouvement à l’insu de l’ennemi, surtout si l’on considère le peu de distance qui l’en séparait, et la vigilance que Lucullus devait exercer depuis ses derniers calculs. On conçoit que c’était là l’occasion de tomber sur une arrière-garde, et d’envoyer un corps de troupes occuper les hauteurs de Cyzique ; Mithridate ne s’en fût pas tiré à bon marché.

Le roi combla le détroit qui séparait l’île du continent, attaqua vigoureusement la place, et la fit investir par sa flotte du côté de la mer. Lucullus avait suivi Mithridate, et s’était posté sur une hauteur assez éloignée de ses derrières. Il fallait que cette hauteur pût se découvrir de la ville, puisque les soldats de Mithridate disaient aux assiégés, en leur montrant le camp des Romains, que c’était celui des Mèdes et des Arméniens, envoyés par Tigranes au secours de son gendre.

Les Cyziniens ne manquaient point de courage ; toutefois ignorant où se trouvait Lucullus, et s’il se préparait à les secourir, on commençait à se troubler dans la place, lorsque Plinius Demonax, envoyé par Archelaüs, passa le détroit à la nage, malgré la présence des vaisseaux ennemis.

Il montra l’armée romaine ; mais personne n’eût osé le croire, si un jeune homme de la ville, échappé du camp de Mithridate, ne fût venu confirmer le rapport de Demonax. Lucullus parvint encore à faire passer quelques soldats sur une barque, qui traversa un lac voisin de Cyzique. Ce renfort, peu important pour la défense, porta les assiégés à prendre les plus vigoureuses résolutions.

Le camp de Mithridate, quoique placé sur le mont Dyndime, était cependant commandé par une hauteur assez peu éloignée de la ville ; on pouvait y arriver en passant un défilé. Taxile, l’un des meilleurs généraux de Pont, sentit toute l’importance d’un poste d’où il était si facile d’intercepter les convois qui venaient par terre ; il engagea le roi à les faire garder avec soin. Mais la mort de Sertorius s’étant répandue dans le camp, L. Manius, qui, par attachement pour une faction incapable de se relever désormais, était venu servir sous le plus cruel ennemi de Rome, résolut de livrer ce poste à Lucullus, et d’acheter ainsi sa grâce et son rappel. Cet exemple entraîna plusieurs transfuges.

L’approche de l’hiver, pendant lequel la navigation devenait impraticable, rendait la situation de Mithridate très critique ; aussi Lucullus, dès qu’il se vit retranché dans son nouveau poste, ne put-il retenir sa joie. « Je les tiens, dit-il à ses troupes, dans une harangue qu’il leur fit ; et la victoire que je vous promets m’est d’autant plus agréable, que je vaincrai sans verser une goutte de sang romain. »

Mithridate, assiégé lui-même devant Cyzique, par la trahison de Manius, n’était pas cependant sans ressources, à beaucoup près. Il lui restait au moins celle de faire effort avec toutes ses troupes sur l’endroit le plus faible, car il y en a toujours un, et de percer à travers les Romains. Mais le roi comptait prendre la place, et fondait ses espérances sur diverses machines d’une grandeur énorme, auxquelles on travaillait depuis long-temps. Tous les préparatifs de Mi-