Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/172

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion
— 164 —

Ce conseil parut à Cotta dicté par la jalousie ; il se hâta de marcher au devant de Mithridate, fut battu, et se vit contraint de se renfermer dans Chalcédoine.

Lucullus se disposait à passer le Sangaris, fleuve de la Phrygie, lorsqu’il reçut cette nouvelle. Tous les soldats s’écrièrent, par ressentiment contre Cotta, qu’il fallait l’abandonner et marcher sur les états de Mithridate, tandis que ce roi en était éloigné avec toutes ses forces.

C’était aussi l’avis d’Archelaüs, qui, devenu suspect au roi de Pont, depuis son traité avec Sylla (dont les Mémoires le justifiaient complètement), n’entrevoyait pour lui de sûreté qu’auprès des Romains. « Les chasseurs, lui dit Lucullus, ne quittent point la poursuite de la bête pour courir au gîte. »

Cependant cette diversion délivrait non seulement Cotta, puisqu’elle forçait le roi d’abandonner le siége de Chalcédoine, mais elle le contraignait même de laisser la Bithynie et tout ce qu’il y avait conquis.

Peut-être n’était-il pas bien aisé à Lucullus de faire cette irruption ; car le roi avait partagé son armée en plusieurs corps, dont l’un gardait l’entrée de la Cappadoce, chemin le plus ordinaire des Romains, qui trouvaient là de grandes facilités, à cause de leur alliance avec les rois de ce pays.

Mais la Cappadoce n’offrait pas le seul endroit par où l’on pût pénétrer dans le Pont. On y arrivait en traversant la Paphlagonie et la Galatie ; et, supposé que quelque général de Mithridate en eût disputé le passage, il valait mieux le combattre que le roi en personne, dont les troupes étaient commandées par un Romain. Archelaüs connaissait le pays, les soldats de Mithridate, les chefs placés à leur tête ; il s’obstina dans son avis, et la comparaison de Lucullus ne peut le justifier aux yeux des militaires.

Mithridate et Marius ou Varius avaient fait une faute grossière d’aller mettre le siége devant Chalcédoine. Leur conduite fut sans reproche, jusqu’à la défaite de Cotta. Mais celui-ci battu, et les vaisseaux romains pris, il fallait envoyer un lieutenant investir la ville, se replier du côté de Lucullus, et camper si près de lui que sa marche fût toujours éclairée, afin de l’empêcher également et d’entrer dans le Pont, s’il en formait le projet, et de secourir Chalcédoine.

Lucullus, averti par Archelaüs, ne sut pas profiter de ses conseils, et persista dans son premier dessein de marcher droit à Mithridate. Mais lorsqu’il vit cette armée si nombreuse en comparaison de la sienne, qui n’était composée que de trente mille hommes de pied et de deux mille cinq cents chevaux, il perdit l’idée d’entamer une action décisive.

Bientôt Lucullus comprit qu’une pareille multitude ne pouvait subsister long-temps dans le même endroit. Il se fit amener des prisonniers, les interrogea séparément, pour savoir combien ils étaient par chambrée, enfin quelle quantité de blé restait à chaque soldat quand ils furent pris. Combinant, sur leurs rapports, les provisions avec le nombre des hommes, ce général jugea que Mithridate ne pouvait tenir plus de quatre jours dans sa position.

La plus forte place de la Basse-Asie était Cyzique, située dans une petite île de la Propontide, qui joignait le continent par deux chaussées. Cette ville se rangeait alors du parti des Romains, et contenait toutes les autres par son exemple. Mithridate, obligé de décamper, comme l’avait prévu Lucullus, résolut d’en former le siége. La difficulté était de cacher son départ à l’ennemi, et de lui dérober une marche. Le roi ayant