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occupait. Le roi des Adiabéniens eut la gauche ; le roi des Mèdes, la droite, où l’on voyait les Cataphractes ; et Tigranes se mit au centre.

Les Cataphractes étaient placés au pied d’un côteau dont la pente se présentait douce, et le sommet plat et uni. Lucullus n’y voyant point paraître de troupes, et remarquant d’ailleurs qu’il avait à peine un quart de lieue à faire pour s’emparer de ce poste, se hâta d’y envoyer la cavalerie thrace et gauloise qu’il tenait à sa solde, avant que Tigranes pût reconnaître sa faute, et la réparer.

Les Romains ne considéraient pas ces hommes couverts de fer sans quelque frayeur. Lucullus les assura qu’on aurait plus de peine à les dépouiller qu’à les vaincre. Il enjoignit à ses soldats de ne se servir que de l’épée pour écarter les lances, qui formaient la principale force de ces cavaliers cataphractaires, la pesanteur des armures qui les emprisonnaient, leur ôtant toute autre liberté d’agir. Pour lui, prenant deux cohortes d’infanterie, il suivit de près les Thraces et les Gaulois.

Dès qu’il fut arrivé au lieu le plus élevé, et qu’il eut bien jugé le tumulte qui régnait dans l’armée de Tigranes : « Ils sont vaincus, s’écria-t-il ; marchons ! » Et faisant mettre l’épée à la main, il recommanda de ne pas s’amuser à lancer le pilum, mais de charger brusquement les cataphractes, en les frappant sur les jambes et sur les cuisses, seules parties du corps que ces hommes d’armes eussent découvertes.

Cet ordre devint inutile ; car ces cavaliers voyant les Romains les prendre en flanc, lâchèrent pied, et culbutèrent leur propre infanterie. Cette armée fut pliée et mise en déroute sans qu’aucun des corps immenses qui la composaient eût essayé de combattre ; de sorte que, de part et d’autre, on ne perdit pas un soldat. Mais il n’en fut pas ainsi quand les troupes de Tigranes voulurent prendre la fuite.

Les Romains, tombant sur cette multitude entassée, en firent un carnage effroyable. Cent mille hommes périrent dans l’infanterie, et presque toute la cavalerie eut le même sort. Lucullus ne compta parmi les siens que cinq hommes tués, et cent blessés. Il peut y avoir de l’exagération dans ce résultat ; cependant, de l’accord unanime des écrivains de cette époque, on ne vit jamais rien de semblable. Tigranes s’enfuit, rassemblant avec peine une escorte de cent cinquante cavaliers.

La conduite de ce prince montre un enchaînement de fautes plus grossières les unes que les autres, et vous comprenez que la première fut de ne pas disputer le passage du fleuve aux Romains. Tigranes, il est vrai, ne supposa pas un seul instant que Lucullus osât l’attaquer.

Cette confiance aveugle dut produire une grande inquiétude quand les légions eurent traversé la rivière. Le roi n’avait pas assez de présence d’esprit pour combiner, en ce moment, un ordre de bataille capable d’envelopper Lucullus, et forcer ce général à faire face de plusieurs côtés, ce qui devait bientôt déterminer sa retraite.

Tout n’était même pas désespéré pour Tigranes lorsque sa droite vint à fléchir. Il pouvait, par un changement de front, se présenter parallèlement à Lucullus ; sa gauche marchait ensuite pour garantir ses flancs contre les Romains qui n’avaient pas suivi leur général.

Cette manœuvre ne dégageait pas sa droite, mais elle sauvait son centre, qui fut culbuté par les fuyards. C’était d’ailleurs le seul moyen d’arrêter Lucullus,