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pes, qui ne pouvaient comprendre qu’on leur arrachât la victoire. Le roi, revenu de son évanouissement, blâma cette mesure, et le jour même attaqua le camp des ennemis, où il entra presque sans résistance, tant la terreur les avait aveuglés. Les Romains perdirent sept mille hommes dans cette journée, parmi lesquels vingt-quatre tribuns et cent cinquante centurions. (An 687 de Rome ; 67 avant notre ère.)

Mithridate fit ériger un trophée au pied du mont Scofius (à trois milles de Zéla), où l’action s’était passée. Ce lieu devint encore célèbre dans la suite par la victoire que César remporta sur Pharnace. César respecta le monument du roi de Pont, et en fit élever un autre en face.

Cependant Mithridate, apprenant que Lucullus marchait sur lui, fait des approvisionnemens considérables, dévaste le pays pour empêcher les Romains d’y subsister, et se retire dans la Petite-Arménie. Le consul, qui avait joint son lieutenant Triarius, voulut le soustraire à la fureur des troupes, et s’aliéna leur amitié ; mais, sans trop s’inquiéter des murmures, il s’approche aussitôt de l’ennemi.

Le roi, campé dans un poste avantageux, désirait faire sa jonction avec Tigranes et Mithridate le Mède ; il refusa donc le combat. Ce Mithridate le Mède, gendre du roi d’Arménie, rencontre sur sa route un parti de Romains, et le taille en pièces.

Ce fut un nouveau prétexte de mécontentement dans l’armée de Lucullus, qui se vit forcé de recevoir la loi de ses troupes, n’osant plus risquer de les mener au combat, tandis que Tigranes faisait des courses dans la Cappadoce, et que Mithridate, ressaisi d’une partie de ses états, bravait les Romains.

Lucullus, riche et couvert de gloire, était l’objet de l’envie de presque tous ses concitoyens ; et les mécontentemens de l’armée éclatèrent surtout par les brigues de Claudius, son beau-frère, que soutenaient à Rome les fermiers de la république, animés contre le consul.

Visitant les conquêtes de l’Asie, déjà réduites en provinces romaines, Lucullus s’était occupé sérieusement de réprimer les vexations qu’elles enduraient. Sylla avait taxé ces provinces à vingt talens d’amende ; plus de cent vingt talens, payés depuis son départ, ne liquidaient pas encore leur dette.

Lucullus vit bien le tort qu’il allait se faire en froissant les fermiers qui disposaient de tout dans Rome ; car le luxe avait conduit l’état à ce point funeste (indice trop certain d’une décadence prochaine), où l’intérêt étouffant toute passion généreuse, le plus riche est le plus considéré.

L’humanité l’emporta dans le cœur de Lucullus. Ses réglemens furent si sages qu’en moins de quatre ans les dettes des villes étaient payées. Mais les fermiers, privés de gains énormes, formèrent des cabales contre lui dans le sénat, parmi le peuple, et jusqu’au sein de son armée.

Le consul M. Acilius Glabrio, nommé son successeur en Asie, en faisant déserter la plus grande partie de ses troupes par les congés qu’il y envoyait du fond de la Bithynie ; Pompée, briguant le généralat de toutes les armées de l’Asie, entretenant des émissaires secrets dans le camp de Lucullus, pour y réveiller l’esprit de sédition, ne craignant pas de casser les réglemens que ce consul avait faits, et même d’annuler jusqu’aux récompenses militaires ; qui le croirait, Glabrio et Pompée n’étaient que les instrumens d’odieux publicains, dont Lucullus avait débarrassé les peuples de la Grèce et de l’Asie !