Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 223 —

Chaque canton pouvait donc mettre sur pied deux mille guerriers, et possédait par conséquent huit mille âmes de population. Pour les cent cantons, c’étaient huit cent mille. Sans compter les étrangers et les esclaves, la seule ville de Rome avait plus de citoyens dans ses murs.

Ces huit cent mille individus occupaient un terrain immense, et regardaient comme très glorieux d’être entourés de déserts. Une solitude de six cent mille pas romains (environ deux cents de nos lieues) les séparait en quelques endroits des autres habitations humaines.

Ils erraient dans leur pays ; le sol n’était point partagé entre les familles ; on en cultivait chaque année une très petite portion que l’on abandonnait l’année suivante pour en labourer une autre.

Ces cantons ou bourgs (pagi) se trouvaient vraisemblablement formés par l’assemblage des chariots, comme on le voit encore dans quelques villes tartares ; ce n’était qu’un composé de hordes errantes.

Si l’on veut avoir des idées justes, il faut prendre garde à la manière dont César emploie les mots. Senatus ne veut pas dire un sénat tel que celui de Rome, mais une assemblée de plusieurs hommes puissans. Regnum ne signifie souvent que domination ; Rex, un homme qui gouverne, même par hasard, n’importe à quelles conditions, et non pas un souverain puissant, héréditaire ou élu par le vœu du peuple. Les commentateurs et les traducteurs confondent toutes les idées, en rendant ces mots par le sens qu’ils ont aujourd’hui.

Ces écrivains, d’ailleurs si estimables, ont fait une faute plus grossière encore, en mettant des noms de ville partout où César a désigné des noms de peuples. Ils persuadent qu’il ne s’agit que d’une enceinte de murailles, quand il est question de tout un pays.

La Gaule Celtique, la Belgique, et l’Aquitaine contenaient si peu de villes que César n’en nomme pas vingt-huit ou vingt-neuf ; mais elles comptaient un bien plus grand nombre de peuplades indépendantes, chez lesquelles on suppose des villes, parce que depuis on en a bâties dans les contrées où ces hordes habitaient.

La Germanie ne possédait pas encore une seule ville ; on n’en trouve même que plusieurs siècles après. Cependant les traducteurs et quelques historiens, cherchant à rendre les noms anciens par des désignations modernes, mettent hardiment le nom d’une cité connue à la place d’une peuplade barbare. Ensuite des Bénédictins et des érudits plus modernes représentent la Gaule et la Germanie comme plus riches et plus peuplées que la France ; et c’est ainsi que l’on abuse trop souvent ses lecteurs.

Les Suèves, au rapport même de César, faisaient peu d’usage du blé. Le lait, la chair des troupeaux et le gibier étaient presque leur unique aliment.

S’ils permettaient à quelques marchands de pénétrer dans leurs déserts, ce n’était pas pour en acheter des futilités, mais pour vendre des peaux, des bestiaux, des esclaves, ou le butin qu’ils faisaient dans leurs courses. On doit supposer que ces marchands leur donnaient des armes en échange, comme les nôtres en fournissent encore aujourd’hui à quelques sauvages qui sont incapables d’en fabriquer.

La force des Suèves consistait dans leur cavalerie, ce que l’on remarque toujours chez les Barbares. Ils s’élançaient quelquefois de leurs chevaux à terre pour combattre, et y remontaient d’un seul saut. Couverts pour tout vêtement de quelques peaux mal taillées,