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vait rien produire de décisif, parce qu’elle n’empêchait pas Afranius de faire passer le pont à une bonne partie de ses troupes, pour occuper et fortifier de l’autre côté de la rivière, un poste propre à soutenir ses détachemens. Il restait encore le maître de traverser la Sègre avec toute son armée, et de gagner un autre pays avant que César fût en état de s’y opposer, la position du nouveau pont à sept mille de son camp et d’Ilerda l’obligeant de faire un détour considérable.

Afin de parer à ces inconvéniens, il lui devenait absolument nécessaire de rétablir la communication vers l’endroit où elle se trouvait avant le débordement, c’est-à-dire plus près de son propre camp que du pont de l’ennemi. Ce fut alors que César conçut l’idée de rendre la rivière guéable en la déchargeant d’une partie de ses eaux.

On fit de grandes coupures sur le bord de la Sègre, au dessus de l’endroit où l’on connaissait un gué praticable dans le temps des basses eaux. Toute l’armée se mit jour et nuit au travail, et creusa des canaux larges de trente pieds pour dériver les eaux dans des bas fonds, et leur donner ensuite la facilité de se décharger dans la basse Sègre. César ne douta pas qu’en écartant une partie de la rivière, il ne parvînt à rétablir les gués comme ils se trouvaient avant le débordement.

Le but d’un travail si extraordinaire ne resta pas inconnu aux généraux de Pompée. Ils comprirent que César, s’il parvenait à rétablir la communication, s’emparerait si bien des meilleurs postes de la rive opposée, qu’il ne leur serait plus possible de déboucher par le pont de pierre. Ils résolurent en conséquence de quitter entièrement Ilerda, de passer l’Èbre tandis qu’ils le pouvaient encore, et de transporter la guerre dans la Celtibérie.

L’intérêt de ce parti voulait que l’on arrêtât César en Espagne, afin que Pompée pût achever ses préparatifs dans la Grèce, et de réparer les pertes qu’il venait d’essuyer en Italie. Ses généraux devaient donc éviter l’occasion de livrer une bataille qui précipite toujours la décision des affaires ; et l’on ne peut douter qu’ils ne l’eussent éloignée pour long-temps s’ils avaient pénétré dans la Celtibérie, et mis un fleuve tel que l’Èbre entre eux et l’ennemi.

Pour y arriver, il ne s’agissait que de passer la Sègre et de marcher sept lieues. Mais l’exécution de ce mouvement, qui était l’affaire d’un jour et la chose la plus aisée vingt-quatre heures plus tôt, devenait actuellement très-difficile. Les circonstances de cet événement si singulier et si décisif ont de tout temps fixé l’attention des militaires, et méritent d’être rapportées avec soin.

Tandis que les soldats de César s’occupaient à creuser des canaux pour détourner une partie de la Sègre, les généraux de Pompée faisaient les préparatifs de leur départ. D’abord deux légions traversent le fleuve, et viennent occuper la hauteur qui se trouve à peu près vis-à-vis de celle où est située la ville de Lérida. Elles y prirent un camp très-fort par son assiette, et s’y retranchèrent.

César fut bientôt informé par ses espions du véritable dessein de son ennemi. On lui apprit qu’un grand nombre de bateaux était rassemblé, et que l’on s’occupait de construire un pont au confluent de la Sègre et de l’Èbre, près d’une ville nommée Octogesa et dont il ne reste plus de trace ;