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nous le sommes des extrémités de l’empire, et environnés de toutes parts de nations ennemies, il ne serait plus temps de courir au secours, quand la frontière serait attaquée ; et si nous permettions de manier les armes à tous ceux qui sont en âge de les porter, ce serait une source perpétuelle de divisions et de guerres civiles. D’un autre côté, leur ôter les armes pour ne les leur donner que dans le besoin, ce serait nous exposer à n’employer que des soldats sans expérience et mal exercés. Mon avis est donc de ne laisser aux citoyens ni armes, ni places fortes ; mais de choisir les plus robustes et ceux qui sont moins en état de subsister par eux-mêmes, pour les enrôler et les former aux exercices. Ceux-ci feront de meilleures troupes, n’ayant d’autre métier que la guerre ; et les autres, vivant à couvert sous cette garde perpétuelle, vaqueront plus tranquillement à l’agriculture, au commerce, et aux autres occupations de la paix, sans être jamais obligés de quitter leurs professions pour courir à la frontière. La partie de l’État la plus vigoureuse, qui ne peut vivre qu’aux dépens des autres, subsistera sans incommoder personne, et servira de défense à tout le reste. »

Auguste suivit ce conseil, il établit vingt-cinq légions perpétuelles, et les fixa dans les provinces frontières dont il se réserva le gouvernement. Cette politique procura une partie des avantages que Mécène avait annoncés ; mais elle entraîna aussi des inconvéniens qu’il semble n’avoir pas prévus. L’esprit militaire se perdit chez les Romains, dès que ce ne fut plus une même chose que d’être citoyen, et d’être soldat ; on, se relâcha même sur la qualité de citoyen romain, lorsqu’on recruta pour ces légions sédentaires dans le pays où elles étaient établies ; enfin les armes inspirant à ceux qui les portaient du mépris pour les professions pacifiques, cette nouvelle milice forma bientôt un État dans l’État.

On ne fut pas long-temps à s’apercevoir que des soldats mercenaires, qui n’avaient, dans le service d’autre intérêt que leur paye, ne valaient pas des hommes élevés dans l’esprit des lois et l’amour de la patrie. Ces soldats, selon leur intérêt ou leur caprice, firent et brisèrent les empereurs. Les légions des diverses provinces, prétendant toutes au privilége de se donner un maître, en proclamèrent souvent plusieurs à-la-fois ; l’empire devint un champ de bataille où l’on achetait, par le massacre d’une partie des citoyens, le droit de commander les autres.

Tel fut le désordre qui s’introduisit dans l’État. Mais quand cet abus se vit sanctionné par l’édit de Caracalla, qui donne le droit de citoyen à tous les sujets de Rome, la légion dont les ressorts avaient été si puissant tant qu’elle fut concentrée, se relâcha à force de s’étendre, et perdit cet esprit propre et ce point d’honneur qui l’avaient placée si loin des troupes auxiliaires.

Un demi-siècle après, sous Claude II, surnommé le Gothique, nous voyons les Barbares entrer dans les légions Romaines. Probus, Constantin, Julien et leurs successeurs ne balancèrent plus à les y recevoir. Il semble même que ces empereurs en firent une maxime de leur politique, par opposition aux principes de l’ancienne constitution. L’événement montra lequel des deux systèmes était le plus sage. Les légions se corrompirent, et leur destruction entraîna la chute de la puissance romaine en Occident.