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CHAPITRE III.


Ordonnance de la Légion.


On raconte, dans la vie de Romulus, que, voulant délivrer son frère des mains de Numitor, il accourut à son secours avec une troupe nombreuse divisée en diverses bandes de cent hommes. L’un d’eux portait, au bout d’une pique, une poignée de foin, que les Latins nomment manipulus, et de-là, dit Plutarque, le mot est passé dans l’usage militaire.

Cet écrivain philosophe faisant ensuite l’histoire de la naissance de Rome, nous apprend qu’aussitôt la ville bâtie, le fondateur divisa en plusieurs corps ceux qui étaient en âge de porter les armes, et mit dans chacun trois mille fantassins et trois cents cavaliers. Ce corps s’appela légion, du mot legere, parce qu’on avait choisi les plus capables du service militaire. Vous voyez que la légion fut la première institution de Romulus.

On ne peut douter que, lors de sa création, la légion ne fût rangée en ligne pleine, suivant la coutume des autres peuples. Cette disposition subit, chez les Romains, des changemens successifs à mesure que leurs armes se perfectionnèrent, et la phalange compacte et indivisible disparut entièrement pour faire place à une ordonnance formée d’une agrégation de petits corps qui se séparaient et se réunissaient avec la même facilité.

Ainsi, à l’époque où les Grecs se croyaient le premier peuple militaire du monde, on créait, à deux cents lieues d’eux, une tactique totalement opposée à la leur. Les Grecs étaient devenus guerriers par le besoin de repousser les invasions du formidable empire des Perses. Le cercle de leurs connaissances s’agrandit ensuite au sein des dissensions qui partagèrent leur territoire en plusieurs états rivaux ; mais ils n’eurent point de modèle à suivre ; ils s’élevèrent au milieu de leurs victoires éclatantes. Les Romains, au contraire, guerriers par leur constitution, profitèrent des lumières comme des fautes de tous les siècles, et s’instruisirent surtout, par leurs propres revers. Chez ce peuple aussi, la science de la guerre fit des progrès rapides, et atteignit le plus haut degré de perfection.

Nous avons dit ailleurs, malgré l’autorité de Tite-Live, que la grande mobilité imprimée à l’ordonnance romaine datait peut-être de l’apparition de Pyrrhus en Italie. Sans doute plusieurs essais avaient été tentés avant cette époque mémorable ; mais on admet difficilement que la disposition en échiquier qui pouvait changer l’ordre de bataille par des manœuvres presque imperceptibles, et permettait de combattre en ligne pleine, en ligne tant pleine que vide, ou même en colonnes ; on a peine à concevoir, disons-nous, qu’une disposition aussi profondément combinée ne soit pas le produit d’une longue expérience.

La phalange étant disposée pour le combat, les rangs s’appuyaient les uns sur les autres, et l’aspect de son front couvert de boucliers, hérissé de piques, la faisait paraître invincible ; mais ce n’était qu’autant qu’elle restait immobile. Dès qu’elle se mettait en mouvement, il y avait des flottemens ; les inégalités du terrain y causaient des vides ; et les moindres obstacles devaient rompre l’union de ses files et de ses rangs sur laquelle reposait toute sa force.

« Les temps et le lieu des combats se varient d’une infinité de manière, dit Polybe, et la phalange n’est propre que dans un temps et d’une façon. Pour