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légions tirer à gauche, et paraître comme aller en arrière.

Le bruit se répandit aussitôt dans le camp que César se retirait. Les soldats en sortirent en foule pour se donner ce spectacle, et n’épargnèrent pas les sarcasmes ; les chefs même s’applaudirent de n’avoir pas précipité leur départ. Cette retraite fut attribuée au manque de vivres, et à la nécessité de se procurer des approvisionnemens de toute espèce avant de continuer les opérations.

Mais quelle dut être la stupéfaction des généraux de Pompée, lorsque, suivant des yeux ces mouvemens, ils découvrirent que César, qui s’était d’abord éloigné à une certaine distance, changeait de route en tournant peu à peu sur la droite, et qu’à juger dans l’éloignement de la direction de sa marche, déjà les têtes de colonnes commençaient à dépasser leur camp.

Personne ne douta plus du dessein de César. Il voulait tourner les montagnes, gagner les devants, et prévenir ses adversaires en occupant avant eux les hauteurs et les défilés par où l’on devait nécessairement passer pour arriver à Octogesa. Afranius et Petreius commirent la faute de supposer ces chemins absolument impraticables, et de ne pas porter leur prévoyance de ce côté.

On crie aux armes ; les soldats les moins alertes s’encouragent à faire diligence. Dans cette marche accélérée, on n’osa pas même se charger des équipages, de peur de l’embarrasser. Les troupes enfilèrent la grande route entre la chaîne des montagnes de la droite et les bords de la Sègre, afin de se rendre directement à Octogesa et au pont de bateaux qu’on y avait préparé sur l’Èbre.

Les difficultés que rencontra César étaient extraordinaires ; il se plaît lui-même à les détailler avec une sorte d’intérêt que l’on remarque quand il parle d’événemens qu’il sut décider sur la supériorité seule de ses talens et de son génie. « On fut obligé, dit-il, de traverser des vallons très-profonds et très-difficiles ; des rochers escarpés que l’on rencontrait souvent barraient les chemins de telle sorte, que les soldats se passaient leurs armes de main en main, et se soulevaient les uns les autres ; mais aucun ne recula devant ce travail si rude, car il prévoyait que ce serait le dernier. » En examinant la carte, on reconnaît bien les rochers et les vallons dont parle ici César.

L’ennemi marchait alors entre les montagnes et le fleuve. César, après avoir débouché dans la plaine par Alfes, Fayes et Juniers, aurait pu tourner à droite, prendre le chemin que traverse aujourd’hui le village de Juncadella, et tomber presque au milieu de la grande route d’Octogèse ; mais il préféra gagner du terrain jusqu’aux environs du village de Lassuessues, et marcher droit à la montagne que les deux armées avaient tant d’intérêt d’atteindre. Il franchit bientôt cette montagne haute et difficile, et se trouva dans une bonne plaine, barrant le passage aux troupes d’Afranius.

Ces troupes harcelées, arrêtées dans leur marche par la cavalerie de César, qui débouchait en suivant la route de Juncadella, n’avaient pu profiter de tous les avantages que paraissait offrir un terrain uni et ouvert, et cette circonstance explique comment César, dont les embarras durent être extrêmes, parvint à tourner son ennemi et à le