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geaient devant les relranchemens lorsqu’il sortait pour les braver, s’étaient avancées plus loin que de coutume. Il arrêta ses troupes, et dit aussitôt d’une voix haute et intelligible : « Voici le moment que nous avons tant désiré ; voyons comment nous ferons notre devoir. »

Assurément il était de l’intérêt de Pompée d’éviter une bataille, et d’attendre les suites de la détresse à laquelle l’armée de César ne pouvait manquer de se trouver réduite vers les approches de l’hiver. Mais les délais, si souvent nécessaires dans le cours d’une campagne, exigent des troupes un courage à toute épreuve, comme ils veulent une grande habileté dans le général. Combien de chefs ont les qualités reconnues pour livrer une bataille, sans cette dextérité propre à faire éluder l’action qu’on offre sans cesse ! combien de troupes peuvent posséder cette sorte de courage passif qui anime au combat, et manquent de cette constance raisonnée qui oblige maintes fois de supporter l’inaction en présence de l’ennemi !

On doit supposer dans Pompée, au degré le plus éminent, tout ce qu’exigeaient les devoirs de sa place ; mais il traînait à sa suite nombre de sénateurs et de citoyens de la première classe, qui, ne se croyant pas inférieurs à lui par leurs talens pour l’administration civile et politique, avaient peine à lui rester soumis dans la subordination militaire. Ils comparaient sa conduite à celle d’Agamemnon entouré des autres rois de la Grèce, et l’accusaient de prolonger la guerre pour jouir plus longtemps du droit de les commander.

Nourris dans le luxe, impatiens de revoir leurs maisons de campagne, avides des honneurs et des dignités qu’ils regardaient comme la récompense des services rendus par eux à l’état durant cette guerre, ils tournèrent en ridicule les sages mesures de leur général ; ils affectèrent de ne pouvoir réprimer leur courage, et ne voulaient que mettre fin à l’incertitude et aux pénibles longueurs d’une campagne qu’ils n’avaient pas la fermeté de soutenir. Les troupes, entraînées par ces grands exemples, blâmaient hautement Pompée, et l’accusaient d’un excès de prudence.

Fatigué de ces clameurs, il se crut obligé d’accélérer la décision des affaires, bien que cette voie lui parût la plus désavantageuse ; encore ne la regarda-t-il probablement pas comme très-dangereuse pour lui. Ses soldats de ligne surpassaient de beaucoup en nombre ceux de César ; cette supériorité devenait encore plus sensible du côté de la cavalerie et des troupes légères. Toutefois, malgré ces avantages apparens, on ne peut mettre en doute que Pompée n’eût évité la bataille sans l’indiscipline de ses troupes.

Les deux armées se trouvaient en présence dans la plaine de Pharsale, entre la rivière de l’Énipée et les montagnes de Gomphe[1]. Par leur position, la droite de Pompée appuyait à la rivière, dont les bords étaient marécageux ; aussi n’y jeta-t-il que six cents chevaux, mettant tout le reste de sa cavalerie à son aile gauche, dans le dessein d’investir César de ce côté. Il avait sept mille chevaux, quarante-cinq mille hommes d’infanterie divisés en cent dix cohortes, et deux de vétérans qui l’étaient venus joindre volontairement ; il laissa de plus sept cohortes à la garde du camp. Les troupes auxiliaires qui suivaient son parti n’étaient guère moins nombreuses ; Pompée comptait donc environ quatre-vingt-dix mille hommes sous les armes.

  1. Voyez l’Atlas.