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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/311

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de leur pilum au visage, et que les cavaliers de Pompée, qui étaient la plupart des jeunes gens de Rome efféminés, ne purent soutenir ce genre d’escrime qui les défigurait ; mais Plutarque se trompe ici comme dans mainte autre circonstance, et c’est une grande erreur de dire que les sept mille chevaux de Pompée étaient composés de jeunes chevaliers romains.

La cavalerie légionnaire n’existait plus à cette époque ; celle de Pompée réunissait des Thraces, des Grecs, et diverses nations d’Asie dont Appien fait une énumération emphatique. Les jeunes Romains qui se trouvaient dans cette armée, sans doute en assez grand nombre, y servaient comme volontaires, et marchaient probablement sans étendard à la suite du général. César ne dit rien de cette particularité dont parle Plutarque.

L’usage des Romains était de faire entendre le cri du combat, et de charger en courant, les files et les rangs assez ouverts, pour la facilité de la course et le jet du pilum. Lorsque les troupes étaient bien exercées, elles conservaient exactement leurs rangs, et arrivaient alignées sur l’ennemi. Pompée connaissait comme César l’avantage d’aller à la charge, de profiter de cette ardeur qui s’enflamme par la rapidité de la course, étourdit le lâche, l’entraîne, et rend le choc impétueux ; cependant il donna ordre à ses soldats de rester à leur poste, et de s’appuyer les uns sur les autres, pour mieux soutenir le choc de l’ennemi.

Sur ce fait, César a beaucoup blâmé Pompée, mais il ne nous dit rien des motifs qui obligèrent ce général de prendre une détermination si contraire à toutes les règles de la tactique romaine. Nous allons cependant les faire connaître ; car la maxime de César ne fût jamais de rabaisser la valeur, le nombre ou la bonne contenance de ses ennemis.

Pompée, considérant l’ordonnance des deux armées qui attendaient le moment du signal, aperçut beaucoup de flottement, d’agitation et de désordre dans les rangs de son infanterie ; cette circonstance lui fit craindre que, si elle allait au-devant de l’ennemi, elle ne se rompît dès le premier instant, et il préféra lui faire recevoir la charge de pied ferme. Toutefois, ce ne fut pas là absolument la cause de sa déroute.

César dit que les soldats de Pompée reçurent très-bien les siens ; qu’ils jetèrent comme eux le pilum, et mirent aussi l’épée à la main. Mais on peut juger par ce fait même de la différence qu’il y avait entre les deux armées pour la discipline et l’expérience. Pompée n’ose laisser ébranler ses troupes, et ordonne de s’appuyer et de se soutenir mutuellement ; tandis que les soldats de César, qui, par l’inaction de ceux de Pompée, doivent fournir le double de la course ordinaire, ne se troublent point, s’arrêtent d’eux-mêmes à la moitié de leur carrière, afin de reprendre haleine, et arrivent en ordre sur l’ennemi.

On trouve dans le récit de la bataille de Pharsale, tel que nous le donne César, une réticence d’un autre genre. Sa gauche était appuyée à la petite rivière de l’Énipée, et les écrivains militaires qui en ont parlé disent tous qu’elle formait des marais impraticables. César ne nomme pas cette rivière ; il dit : rivus quidam, « un ruisseau, » mais en parlant de la droite de Pompée, comme si seule elle avait été protégée par un accident particulier du terrain. Il est pourtant de toute évidence que César appuya sa gauche à la rivière, et que la certitude de n’être pas tourné sur ce point lui permit de s’occuper uniquement de sa droite, d’y porter sa