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et sage ; on ne lui reprochait aucun assassinat ; Constantin avait les mains teintes du sang de tous ses collègues.

Intrépide soldat, chrétien timide, législateur inconséquent, on le vit abaisser la majesté des consuls et du sénat devant la sienne, et avilir celle des empereurs aux pieds des prêtres. Il flottait tour à tour entre les opinions d’un Athanase et d’un Arien ; se montrait le jouet des intrigues de sa cour et de son clergé ; faisait porter la croix à la tête de son armée, et refusait le baptême. Il voulait la morale de l’Évangile, et commettait des meurtres afin de les couvrir par des assassinats nouveaux.

Jusqu’à son règne, les lois n’avaient été faites que pour régler les actions des hommes ; ou bien, si elles prétendaient exercer quelque empire sur la volonté, ce fut en inspirant au peuple des sentimens utiles à l’état et à l’humanité, comme l’amour de la patrie et le respect pour les vieillards. Sous Constantin, on promulgua des lois qui déterminaient la manière de penser, et fixaient des idées métaphysiques sur des objets parfaitement inutiles dans la théorie et dans la pratique, souvent même inintelligibles. Les conciles qui passaient pour des assemblées de sectes, aux décisions desquelles personne n’était contraint de se soumettre, donnèrent des lois ; lois sacrées, instituées et rendues avec bien plus d’appareil que les lois civiles d’aucun peuple ne le furent jamais. Les châtimens de ce monde et les supplices de l’autre menacent ceux qui ne s’y conformeront pas ; on défend même aux gouverneurs des provinces de casser le jugement des évêques.

Constantin gouverna l’empire plus de trente années. Nul règne n’avait autant duré depuis celui d’Auguste ; nul aussi ne produisit plus de changemens. Toutes les nations connues, prirent dès lors de nouvelles mœurs, adoptèrent d’autres idées, modifièrent enfin leur système de législation et leur plan de politique.

Dans les temps antérieurs, ce fut par principe, par vertu, que le sénat contint les Barbares. Jamais il ne cessa d’envoyer des colonies dans les pays vaincus, d’y bâtir des villes, d’ensemencer toutes les contrées sauvages dont il avait asservi les habitans ; jamais il ne laissa dégénérer le caractère superbe du citoyen de Rome, se montrant sans cesse guerrier et législateur, instruisant toujours les Barbares en les subjuguant.

Les empereurs, au contraire, qui craignaient également la liberté du peuple et la fermeté du sénat, firent la faute d’avilir l’un et l’autre. Ils affectèrent de préférer leur camp à la capitale, leurs soldats aux citoyens, leur conseil au sénat ; ils dégradèrent l’esprit de l’ancienne Rome ; le mot de patrie n’eut plus de sens.

Toutefois, avant la fondation de Constantinople, rien n’était désespéré ; on regardait toujours Rome comme le chef-lieu de l’empire. Les Augustes en sont absens ; mais ils y reviennent. C’est à Rome qu’ils s’adressent pour confirmer leur élection ; c’est là qu’ils conduisent en triomphe les ennemis enchaînés, les rois vaincus. Si les sentimens patriotiques étaient comprimés, le ressort pouvait reprendre son énergie.

Mais lorsque Constantinople devint la résidence des empereurs ; quand cette ville eut un sénat, un préfet, tous les grands établissemens nécessaires à la capitale d’un aussi vaste empire ; qu’elle fut devenue le centre de l’état et celui d’une religion nouvelle, le nom de Rome perdit de son éclat.

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