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POLYBE, LIV. I.

doit à l’égard des uns et des autres consulter que la justice. Tel même a été blâmé pour une chose, qu’il faut louer pour une autre ; n’étant pas possible qu’une même personne vise toujours droit au but, ni vraisemblable qu’elle s’en écarte toujours. En un mot, il faut qu’un historien, sans aucun égard pour les auteurs des actions, ne forme son jugement que sur les actions mêmes.

Quelques exemples feront mieux sentir la solidité de ces maximes. Philinus, entrant en matière au commencement de son second livre, dit que les Carthaginois et les Syracusains mirent le siége devant Messine ; qu’à peine les Romains furent arrivés par mer dans cette ville, qu’ils firent une sortie sur les Syracusains ; qu’en ayant été repoussés avec perte ils rentrèrent dans Messine ; que, revenus ensuite sur les Carthaginois, ils perdirent beaucoup des leurs, ou tués ou faits prisonniers. Il dit de Hiéron, qu’après la bataille, la tête lui tourna tellement, que non-seulement il mit le feu à son camp et s’enfuit de nuit à Syracuse, mais encore abandonna toutes les forteresses qui étaient dans la campagne de Messine. Il n’épargne pas davantage les Carthaginois : à l’entendre, ils quittèrent leurs retranchemens aussitôt après le combat, se dispersèrent dans les villes voisines, et aucun d’eux n’osa se montrer au-dehors. Les chefs, voyant les troupes saisies de frayeur, craignirent de s’exposer à une bataille décisive. Selon lui encore, les Romains, poursuivant les Carthaginois, ne se contentèrent pas de désoler la campagne, mais entreprirent aussi d’assiéger Syracuse. Tout cela est, à mon sens, fort mal assorti, et ne mérite pas même d’être examiné. Ceux qui, selon cet historien, assiégeaient Messine et remportaient des victoires, sont ceux-là mêmes qui prennent la fuite, qui se réfugient dans les villes, qui sont assiégés, qui tremblent de peur ; et au contraire, ceux qu’il nous dépeignait comme vaincus et assiégés, il nous les fait voir ensuite poursuivant les ennemis, se rendant maîtres de tout le pays, et assiégeant Syracuse. Quel moyen d’accorder ensemble ces contradictions ? Il faut de nécessité, ou que ce qu’il avance d’abord, ou que ce qu’il dit des événemens qui ont suivi, soit faux. Or, ces événemens sont vrais. Il est sûr que les Carthaginois et les Syracusains ont déserté la campagne et que les Romains ont aussitôt mis le siége devant Syracuse. Il convient lui-même qu’Echetla, ville située entre les terres des Syracusains et celles des Carthaginois, fut aussi assiégée. On ne doit donc faire aucun fond sur ce qu’il avait assuré d’abord, à moins qu’on ne veuille croire que les Romains ont été en même temps et vaincus et vainqueurs. Tel est le caractère de cet historien d’un bout à l’autre de son ouvrage, et on verra en son temps que Fabius n’est pas exempt du même défaut. Mais laissons là enfin ces deux écrivains, et, par la jonction des faits, tâchons de donner aux lecteurs une idée juste de la guerre dont il est question.




CHAPITRE III.


M. Octacilius et M. Valerius font alliance avec Hiéron. — Préparatifs des Carthaginois. — Siége d’Agrigente. — Premier combat d’Agrigente. — Second combat et retraite d’Annibal.


Dès qu’à Rome on eut avis des succès d’Appius dans la Sicile, on créa consuls M. Octacilius et M. Valerius, et on leur donna ordre d’y aller prendre sa place. Leur armée consistait en quatre légions, sans compter les secours que l’on tirait ordinairement des alliés. Ces