Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/380

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
372
POLYBE, LIV. I.

des soldats étrangers complotèrent entre eux de livrer la ville aux Romains. Persuadés de la soumission de leurs soldats, ils passent de nuit dans le camp des Romains, et font part au consul de leur projet. Un Achéen nommé Alexon, qui autrefois avait sauvé Agrigente d’une trahison que les troupes à la solde des Syracusains avaient tramée contre cette ville, ayant découvert le premier cette conspiration, en alla informer le commandant des Carthaginois. Celui-ci aussitôt assemble les autres officiers ; il les exhorte ; il emploie les prières les plus pressantes et les plus belles promesses, pour les engager à demeurer fermes dans son parti, et à ne point entrer dans le complot. Il ne les eut pas plus tôt gagnés, qu’il les envoie vers les autres étrangers, Gaulois et autres. Pour leur aider à persuader les premiers, il leur joignit un homme qui avait servi avec les Gaulois, et qui par là leur était fort connu. C’était Annibal, fils de cet Annibal qui était mort en Sardaigne. Il députa vers les autres soldats mercenaires Alexon, qu’ils considéraient beaucoup, et en qui ils avaient de la confiance. Ces députés assemblent la garnison, l’exhortent à être fidèle, se rendent garans des promesses que le commandant faisait à chacun des soldats, et les gagnent si bien, que, les traîtres étant revenus sur les murs pour porter leurs compagnons à accepter les offres des Romains, on eut horreur de les écouter, et on les chassa à coups de pierres et de traits. C’est ainsi que les Carthaginois, trahis par les soldats étrangers, se virent sur le point de périr sans ressource, et qu’Alexon, qui auparavant par sa fidélité avait conservé aux Agrigentins leur ville, leur pays, leurs lois et leurs libertés, fut encore le libérateur des Carthaginois.

À Carthage, quoique l’on ne sût rien de ce qui se passait, on pensa néanmoins à pourvoir aux besoins de Lilybée. On équipa cinquante vaisseaux, dont on confia le commandement à Annibal, fils d’Amilcar, commandant de galères, et ami intime d’Adherbal ; et après une exhortation convenable aux conjonctures présentes, on lui donna ordre de partir sans délai, et de saisir en homme de cœur le premier moment favorable qui se présenterait de se jeter sur la place assiégée. Annibal se met en mer avec dix mille soldats bien armés, mouille à Éguse, entre Lilybée et Carthage, et attend là un vent frais. Ce vent souffle ; Annibal déploie toutes les voiles, et arrive à l’entrée du port. L’embarras des Romains fut extrême. Un événement si subit ne leur donnait pas le loisir de prendre des mesures, et d’ailleurs, s’ils se fussent mis en devoir de fermer le passage à cette flotte, il était à craindre que le vent ne les poussât avec les ennemis jusque dans le port de Lilybée. Ils furent donc réduits à admirer l’audace avec laquelle ces vaisseaux les bravaient. D’un autre côté, les assiégés, assemblés sur les murailles, attendaient avec une inquiétude mêlée de joie comment ce secours inespéré arriverait jusqu’à eux. Ils l’appellent à grands cris, et l’encouragent par leurs applaudissemens. Annibal entre dans le port, tête levée, et y débarque ses soldats, sans que les Romains osassent se présenter, ce qui fit le plus de plaisir aux Lilybéens que le secours même, quelque capable qu’il fût d’augmenter et leurs forces et leurs espérances. Imilcon, dans le dessein qu’il avait de mettre le feu aux machines des assiégeans, et voulant faire usage des bonnes dispositions où paraissaient être les habitans et les soldats fraîchement débarqués, ceux-là parce