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POLYBE, LIV. I.

deux mots combien la victoire était aisée s’ils avaient du cœur, et ce qu’ils avaient à craindre d’un siége, si la vue du danger les intimidait. Tous s’écriant que, sans différer, on les menât au combat ; après avoir loué leur bonne volonté, il donna ordre de se mettre en mer, et de suivre en poupe le vaisseau qu’il montait, sans en détourner les yeux. Il part ensuite le premier, et conduit sa flotte sous des rochers qui bordaient le côté du port opposé à celui par lequel l’ennemi entrait. Publius, surpris de voir que les ennemis, loin de se rendre ou d’être épouvantés, se disposaient à combattre, fit revirer en arrière tout ce qu’il avait de vaisseaux, ou dans le port, ou à l’embouchure, ou qui étaient près d’y entrer. Ce mouvement causa un désordre infini dans l’équipage, car les bâtimens qui étaient dans le port, heurtant ceux qui y entraient, brisaient leurs bancs, et fracassaient ceux des vaisseaux sur lesquels ils tombaient. Cependant, à mesure que quelque vaisseau se débarrassait, les officiers le faisaient aussitôt ranger près de la terre, la proue opposée aux ennemis. D’abord le consul s’était mis à la queue de sa flotte, mais, alors prenant le large, il alla se poster à l’aile gauche. En même temps Adherbal ayant passé avec cinq grands vaisseaux au-delà de l’aile gauche des Romains, du côté de la pleine mer, tourna sa proue vers eux, et envoya ordre à tous ceux qui venaient après lui et s’allongeaient sur la même ligne, de faire la même chose. Tous s’étant rangés en front, le mot donné, toute l’armée s’avance dans cet ordre vers les Romains qui, rangés proche de la terre, attendaient les vaisseaux qui sortaient du port, disposition qui leur fut très-pernicieuse. Les deux armées proches l’une de l’autre, et le signal levé par les deux amiraux, on commença à charger. Tout fut d’abord assez égal de part et d’autre, parce que l’on ne se servait des deux côtés que de l’élite des armées de terre ; mais les Carthaginois gagnèrent peu à peu le dessus. Aussi avaient-ils pendant tout le combat bien des avantages sur les Romains : leurs vaisseaux étaient construits de manière à se mouvoir en tous sens avec beaucoup de légèreté ; leurs rameurs étaient experts, et enfin ils avaient eu la sage précaution de se ranger en bataille en pleine mer. Si quelques-uns des leurs étaient pressés par l’ennemi, ils se retiraient sans courir aucun risque, et, avec des vaisseaux si légers, il leur était aisé de prendre le large. L’ennemi s’avançait-il pour les poursuivre, ils se tournaient, voltigeaient autour, ou lui tombaient sur le flanc, et le choquaient sans cesse, pendant que le vaisseau romain pouvait à peine revirer à cause de sa pesanteur et du peu d’expérience des rameurs ; ce qui fut cause qu’il y en eut un grand nombre de coulés à fond ; tandis que si un des vaisseaux carthaginois était en péril, on pouvait en sûreté aller à son secours, en se glissant derrière la poupe des vaisseaux. Les Romains n’avaient rien de tout cela. Lorsqu’ils étaient pressés, comme ils se battaient près de la terre, ils n’avaient pas d’endroit où se retirer. Un vaisseau serré en devant se brisait sur les bancs de sable ou échouait contre la terre. Le poids énorme de leurs navires, et l’ignorance des rameurs leur ôtaient encore le plus grand avantage qu’on puisse avoir en combattant sur mer : savoir, de glisser au travers des vaisseaux ennemis, et d’attaquer en queue ceux qui sont déjà aux mains avec d’autres. Pressés contre le rivage, et ne s’étant pas réservé le moindre petit espace pour se glisser par derrière, ils ne pouvaient porter de se-