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POLYBE, LIV. III.

souvent cachée sous d’épaisses ténèbres. Il n’en est pas de même des actions passées. Elles nous font clairement connaître quels ont été les sentimens et les dispositions de leurs auteurs. C’est par là que nous connaissons de qui nous devons espérer des faveurs, des bienfaits, du secours, et de qui nous devons craindre tout le contraire. Enfin, c’est par les choses passées que nous apprenons à prévoir qui aura compassion de nos malheurs, qui prendra part à notre indignation, qui sera le vengeur des injustices que l’on nous a faites. Et qu’y a-t-il de plus utile, soit pour nous en particulier, soit pour la république en général ? Ceux donc qui lisent ou qui écrivent l’histoire ne doivent pas tant s’appliquer au récit des actions mêmes, qu’à ce qui s’est fait auparavant, en même temps et après. Ôtez de l’histoire les raisons pour lesquelles tel événement est arrivé, les moyens que l’on a employés, le succès dont il a été suivi, le reste n’est plus qu’un exercice d’esprit, dont le lecteur ne pourra rien tirer pour son instruction. Tout se réduira à un plaisir stérile que la lecture donnera d’abord, mais qui ne produira aucune utilité.

Ceux qui s’imaginent qu’un ouvrage comme le mien, composé d’un grand nombre de gros livres, coûtera trop à acheter et à lire, ne savent apparemment pas combien il est plus aisé d’acheter et de lire quarante livres qui apprennent par ordre et avec clarté ce qui s’est fait en Italie, en Sicile et en Afrique depuis Pyrrhus, où finit l’histoire de Timée, jusqu’à la prise de Carthage, et ce qui s’est passé dans les autres parties du monde depuis la fuite de Cléomène, roi de Sparte, jusqu’au combat donné entre les Romains et les Achéens à la pointe du Péloponnèse, que de lire et d’acheter les ouvrages qui ont été faits sur chacun des événemens en particulier ; car, sans compter que ces ouvrages sont en bien plus grand nombre que mes livres, on n’y peut rien apprendre de certain : les faits n’y sont pas rapportés avec les mêmes circonstances ; on n’y dit rien des choses qui se sont faites dans le même temps ; cependant, en les comparant ensemble, il est assez ordinaire de se former une autre manière de voir que lorsqu’on les examine séparément. Une troisième raison, c’est qu’il est impossible même d’y indiquer les choses les plus importantes. Nous l’avons déjà dit, ce qu’il y a de plus nécessaire dans l’histoire, ce sont les choses qui ont suivi les faits, celles qui se sont passées en même temps, et plus encore les causes qui les ont précédés. C’est ainsi que nous savons que la guerre de Philippe a donné occasion à celle d’Antiochus, celle d’Annibal à celle de Philippe, et celle de Sicile à celle d’Annibal, et qu’entre ces guerres il y a eu grand nombre de divers événemens qui tendaient tous à une même fin. Or, on ne peut apprendre tout cela que dans une histoire générale ; celle des guerres particulières, comme de Persée et de Philippe, nous laisse dans une parfaite ignorance de toutes ces choses ; à moins qu’en lisant de simples descriptions de batailles, on ne croie voir l’économie et la conduite de toute une guerre. Or rien ne serait plus mal fondé. Concluons donc qu’autant il est plus avantageux de savoir que d’écouter, autant mon ouvrage l’emportera sur des histoires particulières. Retournons à notre sujet.