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POLYBE, LIV. III.


CHAPITRE VII.


Guerre déclarée. — Annibal pourvoit à la sûreté de l’Afrique et de l’Espagne. — Précautions qu’il prend avant de se mettre en marche. — Il s’avance vers les Pyrénées. — Digression géographique.


Les ambassadeurs romains laissèrent parler les Carthaginois sans leur rien répondre. Quand ils eurent fini, le plus ancien de l’ambassade, montrant son sein aux sénateurs, leur dit qu’il y avait apporté pour eux la guerre ou la paix, et qu’ils n’avaient qu’à choisir laquelle des deux ils voulaient qu’il en fît sortir : « Celle qu’il vous plaira, » répliqua le roi des Carthaginois. L’ambassadeur ayant repris qu’il en ferait sortir la guerre, tout le sénat répondit d’une voix qu’il l’acceptait ; et aussitôt l’assemblée se sépara. Annibal était alors à Carthagène en quartiers d’hiver. Il commença par renvoyer les Espagnols dans leurs villes : son dessein était de se gagner par là leur amitié, et de se concilier leurs services pour la suite. Il marqua ensuite à son frère Asdrubal de quelle manière il fallait qu’il s’y prît pour gouverner l’Espagne, et pour se mettre en garde contre les Romains, en cas que lui Annibal vînt à s’éloigner. Il prit après cela des mesures pour qu’il n’arrivât aucun trouble dans l’Afrique, faisant passer à cet effet, par une conduite pleine de sagesse, des soldats d’Afrique en Espagne et d’Espagne en Afrique, afin que cette communication des deux peuples serrât, pour ainsi dire, les liens d’une mutuelle fidélité. Ceux d’Espagne qui passèrent en Afrique furent les Thersites, les Mastiens, les Ibères des montagnes et les Olcades ; ce qui faisait en tout douze cents chevaux et treize mille huit cent cinquante fantassins. Il y fit aussi passer des Baléares, peuple ainsi appelé, aussi bien que leur île, parce qu’il se bat avec la fronde. La plupart de ces nations furent placées dans la Métagonie, les autres furent envoyées à Carthage. Il tira des Métagonitains quatre mille hommes de pied, qu’il fit aller à Carthage, pour y tenir lieu d’ôtages et de troupes auxiliaires.

Il laissa à Asdrubal son frère, en Espagne, cinquante vaisseaux à cinq rangs, deux à quatre, et cinq à trois. Trente-deux des premiers et les cinq derniers avaient leur équipage. La cavalerie était composée de quatre cent cinquante Liby-Phéniciens et Africains, et de trois cents Lorgites, de dix-huit cents hommes tant Numides que Massyliens, Masséliens, Maciens et Mauritaniens, peuples qui habitent vers l’Océan ; et l’infanterie consistait en onze mille huit cent cinquante Africains, trois cents Liguriens et cinq cents Baléares. Il laissait outre cela vingt-un éléphans. Je prie que l’on ne soit pas surpris de voir ici un détail plus exact de ce que fit Annibal en Espagne que dans les auteurs même qui en ont écrit en particulier, et qu’on ne me mette pas pour cela au nombre de ceux qui s’étudient à farder leurs mensonges pour les rendre croyables. Je n’ai fait cette énumération que parce que je l’ai crue très-authentique, l’ayant trouvée à Licinium écrite sur une table d’airain par ordre d’Annibal, pendant qu’il était dans l’Italie. Je ne pouvais suivre de meilleurs Mémoires.

Annibal ayant ainsi pourvu à la sûreté de l’Afrique et de l’Espagne, n’attendit plus que l’arrivée des courriers que les Gaulois lui envoyaient, car il les avait priés de l’informer de la fertilité du pays qui est au pied des Alpes et le long du Pô ; quel était le nombre des habitans ; si c’était des gens belliqueux ; s’il leur restait quelque indignation contre les Romains pour la