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POLYBE, LIV. III.

obstacles ; qu’ils ne s’inquiétassent point des détails de l’entreprise ; qu’ils n’avaient qu’à s’en reposer sur lui ; qu’ils fussent toujours prompts à exécuter ses ordres, et qu’ils ne pensassent qu’à faire leur devoir, et à ne point dégénérer de leur première valeur. Toute l’armée applaudit, et témoigna beaucoup d’ardeur. Annibal la loua de ses bonnes dispositions, fit des vœux aux dieux pour elle, lui donna ordre de se tenir prête à décamper le lendemain matin et congédia l’assemblée.

Sur ces entrefaites arrivent les Numides qui avaient été envoyés à la découverte. La plupart avaient été tués, le reste mis en fuite. À peine sortis du camp, ils étaient tombés dans la marche des coureurs romains, envoyés aussi par Publius pour reconnaître les ennemis, et ces deux corps s’étaient battus avec tant d’opiniâtreté, qu’il périt d’une part environ cent quarante chevaux tant romains que gaulois, et de l’autre plus de deux cents Numides. Après ce combat les Romains en poursuivant s’approchèrent des retranchemens des Carthaginois, examinèrent tout de leurs propres yeux, et coururent aussitôt pour informer le consul de l’arrivée des ennemis. Publius, sans perdre de temps, mit tout le bagage sur les vaisseaux, et fit marcher le long du fleuve toute son armée dans le dessein d’attaquer les Carthaginois.

Le lendemain à la pointe du jour, Annibal posta toute sa cavalerie du côté de la mer comme en réserve, et donna ordre à l’infanterie de se mettre en marche. Pour lui, il attendit que les éléphans et les soldats qui étaient restés sur l’autre bord eussent rejoint. Or voici comme les éléphans passèrent.

Après avoir fait plusieurs radeaux, d’abord on en joignit deux l’un à l’autre, qui faisaient ensemble cinquante pieds de largeur, et on les mit au bord de l’eau, où ils étaient retenus avec force et arrêtés à terre. Au bout qui était hors de l’eau on en attacha deux autres, et l’on poussa cette espèce de pont sur la rivière. Il était à craindre que la rapidité du fleuve n’emportât tout l’ouvrage. Pour prévenir ce malheur, on retint le côté exposé au courant par des cordes attachées aux arbres qui bordaient le rivage. Quand on eut porté ces radeaux à la longueur de deux plèthres (170 pieds), on en construisit deux autres beaucoup plus grands que l’on joignit aux derniers. Ces deux furent liés fortement l’un à l’autre ; mais ils ne le furent pas tellement aux plus petits, qu’il ne fût aisé de les détacher. On avait encore attaché beaucoup de cordes aux petits radeaux, par le moyen desquelles les nacelles destinées à les remorquer pussent les affermir contre l’impétuosité de l’eau, et les amener jusqu’au bord avec les éléphans. Les deux grands radeaux furent ensuite couverts de terre et de gazon, afin que ce pont fût semblable en tout au chemin qu’avaient à faire les éléphans pour en approcher. Sur terre ces animaux s’étaient toujours laissé manier à leurs conducteurs ; mais ils n’avaient encore osé mettre les pieds dans l’eau. Pour les y faire entrer, on mit à leur tête deux éléphans femelles, qu’ils suivaient sans hésiter. Ils arrivent sur les derniers radeaux, on coupe les cordes qui tenaient ceux-ci attachés aux deux plus grands, les nacelles remorquent et emportent bientôt les éléphans loin des radeaux qui étaient couverts de terre. D’abord ces animaux effrayés, inquiets, allèrent et vinrent de côté et d’autre. Mais l’eau dont ils se voyaient environnés leur fit peur, et les retint en place. C’est ainsi qu’Annibal, en joignant des radeaux deux à deux, trouva

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