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POLYBE, LIV. III.

Annibal voit sur l’autre bord une fumée s’élever ; c’était le signal que devaient donner ceux qui étaient passés les premiers, lorsqu’ils seraient près de l’ennemi. Il ordonne aussitôt que l’on se mette sur la rivière, donnant ordre à ceux qui étaient sur les plus grands bateaux de faire tous leurs efforts pour résister à la rapidité du courant. On vit alors le spectacle du monde le plus effrayant et le plus capable d’inspirer la terreur ; car, tandis que d’un côté les soldats embarqués s’encourageaient mutuellement par leurs cris, et luttaient pour ainsi dire contre la violence des flots, et que de l’autre les troupes bordant le fleuve animaient leurs compagnons par leurs clameurs, les Barbares, sur le bord opposé, entonnèrent une chanson guerrière, et défièrent les Carthaginois au combat. Dans ce moment, le détachement de Hannon fondit tout à coup sur les Barbares, qui défendaient le passage du fleuve, et mit le feu à leur camp. Les Barbares confondus de cette attaque imprévue, coururent les uns pour protéger leurs tentes, les autres pour résister aux assaillans. Annibal, animé par le succès, à mesure que ses gens débarquaient, les rangea en bataille, les exhorta à bien faire, et les mena aux ennemis, qui, épouvantés et déjà mis en désordre par un événement si imprévu, furent tout d’un coup enfoncés et obligés de prendre la fuite.




CHAPITRE IX.


Discours de Magile, roi gaulois, et d’Annibal aux Carthaginois. — Combat entre deux partis envoyés à la découverte. — Passage des éléphans. — Extravagance des historiens sur le passage des Alpes par Annibal.


Annibal, maître du passage, et en même temps victorieux, pensa aussitôt à faire passer ce qui restait de troupes sur l’autre bord, et campa cette nuit le long du fleuve. Le matin, sur le bruit que la flotte des Romains était arrivée à l’embouchure du Rhône, il détacha cinq cents chevaux numides pour reconnaître où étaient les ennemis, combien ils étaient, et ce qu’ils faisaient. Puis, après avoir donné ses ordres pour le passage des éléphans, il assembla son armée, fit approcher Magile, petit roi qui l’était venu trouver des environs du Pô, et fit expliquer aux soldats par un interprète les résolutions que les Gaulois avaient prises, toutes très-propres à donner du cœur et de la confiance aux soldats ; car, sans parler de l’impression que devait faire sur eux la présence de gens qui les appelaient à leur secours, et qui leur promettaient de partager avec eux la guerre contre les Romains, il semblait qu’on ne pouvait se défier de la promesse que les Gaulois faisaient de les conduire jusqu’en Italie par des lieux où ils ne manqueraient de rien, et par où leur marche serait courte et sûre. Magile leur faisait encore des descriptions magnifiques de la fertilité et de l’étendue du pays où ils allaient entrer, et vantait surtout la disposition où étaient les peuples de prendre les armes en leur faveur contre les Romains.

Magile retiré, Annibal s’approcha, et commença par rappeler à ses soldats ce qu’ils avaient fait jusqu’alors. Il dit que, quoiqu’ils se fussent trouvés dans des actions extraordinaires et dans les occasions les plus périlleuses, ils n’avaient jamais manqué de réussir, parce que, dociles à ses conseils, ils n’avaient rien entrepris que sur ses lumières ; qu’ils ne craignissent rien pour la suite ; qu’après avoir passé le Rhône et s’être acquis des alliés aussi affectionnés que ceux qu’ils voyaient eux-mêmes, ils avaient déjà surmonté les plus grands