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POLYBE, LIV. III.

passage des Alpes, lorsqu’il planta ses étendards dans les plaines du Pô et parmi les Insubriens, sans que la diminution de son année eût ralenti en rien de son audace. Cependant il ne lui restait plus que douze mille Africains et huit mille Espagnols d’infanterie, et six mille chevaux. C’est de lui-même que nous savons cette circonstance, qui a été gravée par son ordre sur une colonne près du promontoire Lacinium.

Du côté des Romains, Publius Scipion, qui, comme nous l’avons dit plus haut, avait envoyé en Espagne Cnéus son frère, et lui avait recommandé de tout tenter pour en chasser Asdrubal ; Scipion, dis-je, débarqua au port de Pise avec quelques troupes, dont il augmenta le nombre en passant par la Tyrrhénie, où il prit les légions qui, sous le commandement des préteurs, avaient été envoyées là pour faire la guerre aux Boïens. Avec cette armée, il vint aussi camper dans les plaines du Pô, pressé d’un ardent désir d’en venir aux mains avec le général carthaginois.

Mais laissons pour un moment ces deux chefs d’armée en Italie, où nous les avons amenés, et avant d’entamer le récit des combats qu’ils se sont livrés, justifions en peu de mots le silence que nous avons gardé jusqu’ici sur certaines choses qui sont du domaine de l’histoire ; car on ne manquera pas d’être en peine de savoir pourquoi, après m’être fort étendu sur plusieurs endroits de l’Afrique et de l’Espagne, je n’ai parlé ni du détroit que forment les colonnes d’Hercule, ni de la mer qui est au-delà, ni de ce qu’il y a de particulier sur cette mer, ni des îles Britanniques, ni de la manière de faire l’étain, ni de l’or ni de l’argent que l’Espagne produit, choses, cependant sur lesquelles les auteurs qui en ont écrit fort au long ne sont pas trop d’accord entre eux.

Il est vrai, je n’ai rien dit sur toutes ces matières. Ce n’est pas que je les crusse étrangères à l’histoire ; mais deux raisons m’ont détourné d’en parler : premièrement, une narration interrompue par autant de digressions qu’il se serait présenté de sujets à traiter eût été rebutante, et aurait écarté le lecteur du but que je m’étais proposé ; en second lieu, il m’a paru que toutes ces curiosités valaient bien la peine qu’on les traitât exprès et en particulier. Le temps et l’occasion viendront d’en dire tout ce que nous avons pu en découvrir de plus assuré.

Que l’on ne soit donc pas surpris dans la suite, si, en parlant de quelques lieux, nous n’entrons pas dans le détail de certaines circonstances. Vouloir que partout et en toute occasion un historien s’arrête sur ces sortes de singularités, c’est ressembler à une espèce de friands qui, portant la main à tous les plats, ne savourent aucun morceau à loisir, et qui, par cette diversité de mets, nuisent plutôt à leur santé, qu’ils ne l’entretiennent et ne la fortifient. Il en est de même de ceux qui n’aiment l’histoire qu’autant qu’elle est parsemée de particularités détachées du sujet principal. Ils n’ont le loisir d’en goûter aucune comme elle doit être goûtée, et il ne leur en reste rien dont ils puissent faire usage.

Il faut cependant convenir que, de toutes les parties de l’histoire, il n’en est point qui ait plus besoin d’être traitée au long et avec quelque exactitude que ces particularités-là mêmes que nous avons cru devoir remettre à un autre temps. Entre plusieurs exemples que je pourrais citer, en voici un qui ne souffre pas de réplique. De tous les historiens qui ont décrit la situation et