Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/488

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
480
POLYBE, LIV. III.

pérassent trouver leur salut dans sa clémence. Afin de gagner aussi aux Carthaginois tous ceux que les Romains avaient mis dans les emplois publics, il récompensa magnifiquement le traître qui lui avait livré Clastidium. Peu après, ayant découvert que quelques Gaulois d’entre le Pô et la Trébie, qui avaient fait alliance avec lui, continuaient à entretenir des liaisons avec les Romains, comme pour avoir un refuge assuré de quelque côté que la fortune se rangeât, il détacha deux mille hommes de pied et mille chevaux tant gaulois que numides, avec ordre de porter le ravage sur leurs terres. Cet ordre fut exécuté sur-le-champ, et le butin fut grand. Les Gaulois coururent aussitôt aux retranchemens des Romains pour demander du secours.

Sempronius, qui attendait depuis long-temps l’occasion d’agir, saisit ce prétexte : il envoie la plus grande partie de sa cavalerie avec mille archers à pied, qui passent en hâte la Trébie, attaquent ceux qui emportaient le butin, et les obligent à prendre la fuite et à se retirer derrière leurs retranchemens ; la garde du camp court au secours de ceux qui étaient poursuivis, repousse les Romains, et les contraint à leur tour à fuir vers leur camp. Sempronius alors met en mouvement toute sa cavalerie et ses archers, et les Gaulois sont encore forcés de faire retraite. Annibal, qui n’était pas prêt à une action générale, et qui d’ailleurs, ne croyait pas qu’un général sage et prudent dût, sans un dessein prémédité, et à toute occasion, hasarder une bataille générale, se contenta d’arrêter la fuite de ses gens, et de leur faire tourner front aux ennemis, leur défendant par ses officiers et par des trompettes de combattre ni de poursuivre. Les Romains s’arrêtèrent pendant quelque temps ; mais enfin, ils se retirèrent, après avoir perdu quelque peu de leur monde, et en avoir tué un plus grand nombre du côté des Carthaginois.

Sempronius, enorgueilli et triomphant de ce succès, aurait fort souhaité d’en venir à quelque chose de décisif ; mais quelque envie qu’il eût de profiter de la blessure de Scipion, pour disposer de tout à son gré, il ne laissa pas que de lui demander son avis, qu’il ne trouva pas conforme au sien. Publius pensait, au contraire, qu’il fallait attendre que les troupes eussent été exercées pendant l’hiver, et que l’on en tirerait plus de services la campagne suivante ; que les Gaulois étaient trop légers et trop inconstans pour demeurer unis aux Carthaginois ; et que, dès que ceux-ci ne pourraient rien entreprendre, ceux-là ne manqueraient pas de se tourner contre eux. Il espérait, après que sa blessure serait guérie, être de quelque utilité dans une affaire générale ; enfin il le priait instamment de ne pas passer outre. Sempronius ne pouvait s’empêcher de reconnaître que les avis de son collègue étaient justes et sensés ; mais la passion de se distinguer et l’assurance qu’il croyait avoir de réussir, l’emportèrent sur la raison et sur la prudence. Il avait résolu, avant que Publius pût se trouver à l’action, et que le temps de créer de nouveaux consuls, qui approchait, fût venu, de finir cette guerre par lui-même, et comme il ne cherchait pas le temps des affaires, mais le sien, il ne pouvait pas manquer de prendre de mauvaises mesures.

Annibal pensait comme Publius sur la conjoncture présente, mais il en concluait tout le contraire et pressait le temps du combat : premièrement, pour profiter de la disposition où étaient les Gaulois en sa faveur ; en second