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POLYBE, LIV. III.

quelques fourrageurs du côté des Carthaginois, approchaient de son camp, comme pour l’insulter, il les attaquait. Il en tua ainsi un assez grand nombre. Par ces petits avantages, il diminuait peu à peu l’armée ennemie, et relevait le courage de la sienne, que les pertes précédentes avaient intimidée. Mais on ne put jamais obtenir de lui qu’il marquât le temps et le lieu d’un combat général. Cette conduite ne plaisait pas à Minucius. Bassement populaire, il se pliait aux sentimens du soldat, et décriait le dictateur comme un homme sans courage et sans résolution. On ne pouvait trop tôt lui faire naître l’occasion d’aller à l’ennemi, et de lui donner bataille.

Les Carthaginois, après avoir saccagé la Daunie et passé l’Apennin, s’avancèrent jusque chez les Samnites, pays riche et fertile, qui depuis long-temps jouissait d’une paix profonde, et où les Carthaginois trouvèrent une si grande abondance de vivres, que malgré la consommation et le gaspillage qu’ils en firent, ils ne purent les épuiser. De là, ils firent des incursions sur Bénévent, colonie des Romains, et prirent Venusia, ville bien fortifiée, et où ils firent un butin prodigieux. Les Romains les suivaient toujours à une ou deux journées de distance, sans vouloir ni les joindre ni les combattre. Cette affectation d’éviter le combat sans cesser de tenir la campagne, porta le général carthaginois à se répandre dans les plaines de Capoue. Il se jeta en particulier sur Falerne, persuadé qu’il arriverait une de ces deux choses, ou qu’il forcerait les ennemis à combattre, ou qu’il ferait voir à tout le monde qu’il était pleinement le maître, et que les Romains lui abandonnaient le plat pays ; après quoi il espérait que les villes épouvantées quitteraient le parti des Romains. Car jusqu’alors, quoiqu’ils eussent été vaincus dans deux batailles, aucune ville d’Italie ne s’était rangée du côté des Carthaginois ; toutes étaient demeurées fidèles, même celles qui avaient le plus souffert : tant les alliés avaient de respect et de vénération pour la république romaine !

Au reste, Annibal raisonnait sagement. Les plaines les plus estimées de l’Italie, soit pour l’agrément, soit pour la fertilité, sont, sans contredit, celles d’autour de Capoue. On y est voisin de la mer. Le commerce y attire du monde de presque toutes les parties de la terre. C’est là que se trouvent les villes les plus célèbres et les plus belles d’Italie ; le long de la côte, Sinuesse, Cumes, Pouzzoles, Naples, Nuceria ; dans les terres du côté du septentrion, Calénum, et Téano ; à l’orient et au midi, la Daunie et Nole ; et au milieu de ce pays, Capoue, la plus riche et la plus magnifique de toutes. Après cela, doit-on s’étonner que les mythologues aient tant célébré ces belles plaines, qu’on appelait aussi champs Phlégréens, autres plaines fameuses, et qui surpassaient en beauté toutes les autres ? de sorte, qu’il n’est pas surprenant que les dieux en aient, entre eux, disputé la possession. Mais, outre tous ces avantages, c’est encore un pays très-fort, et où il est très-difficile d’entrer. D’un côté, il est couvert par la mer, et tout le reste est fermé par de hautes montagnes, où l’on ne peut pénétrer, en venant des terres, que par trois gorges étroites et presque inaccessibles, l’une du côté des Samnites, l’autre du côté d’Ériban, et la troisième du côté des Hirpiniens. Les Carthaginois, campés dans cette partie de l’Italie, allaient de dessus ce théâtre, ou épouvanter tout le monde par une entreprise si hardie et si extraordi-