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POLYBE, LIV. III.

allumer, et de pousser ces animaux, à grands coups, jusqu’au sommet d’une montagne qu’il leur montra, et, qui s’élevait entre son camp et les défilés où il devait passer. À la suite des pionniers il fit marcher les soldats armés à la légère pour leur aider à presser les bœufs, avec ordre, quand ces animaux seraient en train de courir, de se répandre à droite et à gauche, de gagner les hauteurs avec grand bruit, de s’emparer du sommet de la montagne, et de charger les ennemis en cas qu’ils les y rencontrassent. En même temps il s’avance vers les défilés, ayant à son avant-garde l’infanterie pesamment armée, au centre la cavalerie suivie du butin, et à l’arrière-garde les Espagnols et les Gaulois.

À la lueur de ces torches, les Romains qui gardaient les défilés croient qu’Annibal prend sa route vers les hauteurs, quittent leurs postes et courent pour le prévenir. Arrivés proche des bœufs, ils ne savent que penser de cette manœuvre, ils se forment du péril où ils sont une idée terrible, et attendent de là quelque événement sinistre. Sur la hauteur, il y eut quelque escarmouche entre les Carthaginois et les Romains ; mais les bœufs, se jetant entre les uns et les autres, les empêchaient de se joindre, et en attendant le jour on se tint de part et d’autre en repos. Fabius fut surpris de cet événement. Soupçonnant qu’il y avait là quelque ruse de guerre, il ne bougea point de ses retranchemens, et attendit le jour, sans se départir de la résolution qu’il avait prise, de ne point s’engager dans une action générale. Cependant Annibal profite de son stratagème. La garde des défilés n’eut pas plus tôt quitté son poste, qu’il les fit traverser à son armée et au butin ; tout passa sans le moindre obstacle. Au jour, de peur que les Romains, qui étaient sur les hauteurs, ne maltraitassent ses soldats armés à la légère, il les soutint d’un gros d’Espagnols, qui, ayant jeté sur le carreau environ mille Romains, descendirent avec ceux qu’ils étaient allés secourir. Sorti par cette ruse du territoire de Falerne, il campa ensuite paisiblement où il voulut, et n’eut plus d’autre embarras que de chercher où il prendrait ses quartiers d’hiver.

Cet événement répandit la terreur dans toutes les villes d’Italie ; tous les peuples désespéraient de pouvoir jamais se délivrer d’un ennemi si pressant. La multitude s’en prenait à Fabius. Quelle lâcheté, disait-on, de n’avoir point usé d’une occasion si avantageuse ! Tous ces mauvais bruits ne firent aucune impression sur le dictateur. Obligé quelques jours après de retourner à Rome pour quelques sacrifices, il ordonna expressément à Minucius de penser beaucoup moins à remporter quelque avantage sur les Carthaginois, qu’à empêcher qu’ils n’en remportassent sur lui. Mais ce chef fit si peu attention à cet ordre, que, pendant qu’il le recevait, il n’était occupé que de la pensée de combattre. Tel était l’état des affaires en Italie.

En Espagne, Asdrubal, ayant équipé les trente vaisseaux que son frère lui avait laissés, et en ayant ajouté dix autres, fit partir de la nouvelle Carthage quarante voiles, dont il avait donné le commandement à Amilcar ; puis ayant fait sortir les troupes de terre des quartiers d’hiver, il se mit à leur tête, et, faisant longer la côte aux vaisseaux, il les suivit de dessus le rivage dans le dessein de joindre les deux armées, lorsqu’on serait proche de l’Èbre. Cnéus, averti de ce projet des Carthagi-