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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/503

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POLYBE, LIV. III.

nois, pensa d’abord à aller au devant d’eux par terre ; mais quand il sut combien l’armée des ennemis était nombreuse, et les grands préparatifs qu’ils avaient faits, il équipa trente-cinq vaisseaux, qu’il fit monter par les soldats de l’armée de terre qui étaient les plus propres au service de mer ; puis, ayant mis à la voile, après deux jours de navigation depuis Tarragone, il aborda aux environs des embouchures de l’Èbre. Lorsqu’il fut à environ dix milles de l’ennemi, il envoya deux frégates de Marseille à la découverte ; car les Marseillais étaient toujours les premiers à s’exposer, et leur intrépidité lui fut d’un grand secours. Personne n’était plus attaché aux intérêts des Romains que ce peuple qui, dans la suite, leur a souvent donné des preuves de son affection, mais qui se signala dans la guerre d’Annibal. Ces deux frégates rapportèrent que la flotte ennemie était à l’embouchure de l’Èbre. Sur-le-champ, Cnéus fit force de voiles pour la surprendre ; mais Asdrubal, informé depuis long-temps par les sentinelles que les Romains approchaient, rangeait ses troupes en bataille sur le rivage, et donnait ses ordres pour que l’équipage montât sur les vaisseaux. Quand les Romains furent à portée, on sonna la charge, et aussitôt on en vint aux mains. Les Carthaginois soutinrent le choc avec valeur pendant quelque temps ; mais ils plièrent bientôt. La vue des troupes qui étaient sur la côte fut beaucoup moins utile aux soldats de l’équipage pour leur inspirer de la hardiesse et de confiance, qu’elle ne leur fut nuisible, en leur faisant espérer que c’était pour eux une retraite aisée, en cas qu’ils eussent le dessous. Après qu’ils eurent perdu deux vaisseaux avec l’équipage, et que quatre autres eurent été désemparés, ils se retirèrent vers la terre. Mais, poursuivis avec chaleur par les Romains, ils s’approchèrent le plus qu’ils purent du rivage ; puis, sautant de leurs vaisseaux, il se sauvèrent vers leur armée de terre. Les Romains avancèrent hardiment vers le rivage ; et ayant lié à l’arrière de leurs vaisseaux tous les vaisseaux des ennemis qu’ils purent mettre en mouvement, ils mirent à la voile, extrêmement satisfaits d’avoir vaincu du premier choc, de s’être soumis toute la côte de cette mer, et d’avoir gagné vingt-cinq vaisseaux. Depuis cet avantage, les Romains commencèrent à mieux espérer de leurs affaires en Espagne.

Quand on reçut à Carthage la nouvelle de cette défaite, on équipa soixante-dix vaisseaux ; car on ne croyait pouvoir rien entreprendre qu’on ne fût maître de la mer. Cette flotte cingla d’abord vers la Sardaigne, et de la Sardaigne elle vint aborder à Pise en Italie, où l’on espérait s’aboucher avec Annibal. Les Romains vinrent au-devant avec cent vingt vaisseaux longs à cinq rangs ; mais les Carthaginois, informés qu’ils étaient en mer ; retournèrent à Carthage par la même route. Servilius, amiral de la flotte romaine, les poursuivit pendant quelque temps dans l’espérance de les combattre ; mais il avait trop de chemin à faire pour les atteindre. D’abord il alla à Lilybée, de là il passa en Afrique dans l’île de Cercine, d’où, après avoir fait payer contribution aux habitans, il revint sur ses pas, prit en passant l’île de Cossyre, mit garnison dans sa petite ville, et aborda à Lilybée, où ayant mis ses bâtimens en sûreté, il rejoignit peu de temps après l’armée de terre.

Sur la nouvelle de la victoire que Cnéus avait remportée sur mer, le sénat, persuadé que les affaires d’Espagne méritaient une attention particulière, et