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POLYBE, LIV. III.

valerie fond sur les troupes encore en marche, fait une charge furieuse, et jette un grand désordre parmi les Romains. Le consul soutint ce premier choc avec un corps de soldats pesamment armés. Il fit ensuite charger les gens de trait et la cavalerie, et eut soin d’y mêler quelques cohortes de légionnaires. Cette précaution, que les Carthaginois avaient négligé de prendre, lui donna tout l’avantage du combat. La nuit mit fin à cette action, qui ne réussit pas à Annibal, comme il l’avait espéré.

Le lendemain, Émilius, qui n’était pas d’avis de combattre, et qui cependant ne pouvait, sans péril, retirer de là son armée, en fit camper les deux tiers le long de l’Aufide, seule rivière qui traverse l’Apennin, chaîne de montagnes qui partage toutes les rivières qui arrosent l’Italie, et dont les unes se jettent dans la mer de Toscane, et les autres dans la mer Adriatique. L’Aufide prend sa source du côté de la première, et, passant au travers de l’Apennin, va se jeter dans l’autre. Émilius fit passer le fleuve au reste de l’armée, et la retrancha à l’orient de l’endroit où il l’avait passé, environ à treize cents pas du premier camp et un peu plus loin de celui des ennemis ; par cette disposition, il se mit à portée de soutenir ses fourrageurs, et d’inquiéter ceux des Carthaginois. Annibal, prévoyant que cette manœuvre mènerait à une bataille générale, jugea prudemment que le dernier échec ne lui permettait pas de hasarder une action décisive, sans avoir relevé le courage de ses troupes. Les ayant donc fait assembler : « Carthaginois, leur dit-il, jetez les yeux sur tout le pays qui vous environne, et dites-moi, si les dieux vous donnaient le choix, ce que vous pourriez souhaiter de plus avantageux, supérieurs en cavalerie comme vous l’êtes, que de disputer l’empire du monde dans un pareil terrain ? » Tous convinrent, et la chose était évidente, qu’ils ne feraient pas un autre choix.

« Rendez donc, continua-t-il, rendez grâces aux dieux d’avoir amené ici les ennemis pour vous faire triompher d’eux. Sachez-moi gré aussi d’avoir réduit les Romains à la nécessité de combattre. Quelque favorable que soit pour nous le champ de bataille, il faut nécessairement qu’ils l’acceptent, ils ne peuvent plus l’éviter. Il ne me conviendrait pas de parler plus long-temps pour vous encourager à faire votre devoir. Cela était bon lorsque vous n’aviez point encore essayé vos forces avec les Romains, et j’eus soin alors de vous montrer, par une foule d’exemples, qu’ils n’étaient pas si formidables que l’on pensait. Mais après trois grandes victoires consécutives, que faut-il, pour exalter votre courage et vous inspirer de la confiance, que le souvenir de vos propres exploits ? Par les combats précédens, vous vous êtes rendus maîtres du plat pays et de toutes les richesses qui y étaient. C’est ce que je vous avais promis d’abord, et je vous ai tenu parole ; mais dans le combat d’aujourd’hui, il s’agit des villes et des richesses qu’elles contiennent. Si vous êtes vainqueurs, toute l’Italie passe sous le joug : plus de peines, plus de périls pour vous. La victoire vous met en possession de toutes les richesses des Romains, et assujettit toute la terre à votre domination. Combattons donc. Il n’est plus question de parler, il faut agir : j’espère de la protection des dieux, que vous verrez dans peu l’effet de mes promesses. » Ce discours fut ac-