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POLYBE, LIV. III.

cueilli par les applaudissemens de toute l’assemblée, et Annibal, après l’avoir louée de sa bonne volonté, la congédia.

Il campa aussitôt, et se retrancha sur le bord du fleuve où était le plus grand camp des Romains. Le lendemain, il ordonna aux troupes de se reposer et de se tenir prêtes, et, le jour suivant, il rangea son armée en bataille sur le fleuve, comme s’il eût défié l’ennemi. Mais Émilius sentit le désavantage du terrain, et voyant d’ailleurs que la disette des vivres obligerait bientôt Annibal à lever le camp, il ne s’ébranla pas, et se contenta de faire bien garder ses deux camps. Annibal resta quelque temps en bataille. Comme personne ne se présentait, il fit rentrer l’armée dans ses retranchemens, et détacha les Numides contre ceux du plus petit camp, qui venaient à l’Aufide chercher de l’eau. Cette cavalerie passa jusqu’au retranchement même, et empêcha les Romains d’approcher de la rivière. Cela piqua Varron jusqu’au vif. Le soldat, qui n’avait pas moins d’ardeur de combattre, souffrait avec la dernière impatience que l’on différât ; car l’homme, une fois déterminé à braver les plus grands périls pour parvenir à ce qu’il souhaite, ne souffre rien avec plus de chagrin que le retard de l’exécution.

Quand le bruit se répandit dans Rome, que les deux armées étaient en présence, et que chaque jour il se faisait des escarmouches, l’inquiétude et la crainte saisirent tous les esprits. Les défaites passées faisaient trembler pour l’avenir, et on prévenait par l’imagination tous les malheurs auxquels on serait exposé si on était vaincu. On n’entendit plus parler que des oracles prononcés sur Rome. Tous les temples, toutes les maisons particulières étaient pleines d’apparitions extraordinaires et de prodiges, pour lesquels on faisait des prières et des sacrifices aux dieux ; car, dans les calamités publiques, les Romains apportent un soin extrême à calmer la colère des dieux et des hommes, et de toutes les cérémonies prescrites pour ces sortes d’occasions, il n’en est aucune qu’ils refusent d’observer sous aucun prétexte, quelque basse et méprisable qu’elle paraisse.




CHAPITRE XXIV.


Bataille de Cannes.


Le lendemain, jour où Varron avait le commandement, ce consul, aussitôt que le jour commence à poindre, faisant porter devant lui ses faisceaux, fait sortir à la fois les troupes des deux camps. Il range en bataille celles du plus grand à mesure qu’elles traversent le fleuve ; les troupes du petit camp se joignent et s’alignent à l’autre, de manière que le front de bataille de l’armée soit tourné vers le midi. Il place la cavalerie romaine à l’aile droite, et l’appuie au fleuve même ; l’infanterie se déploie près d’elle, sur un front égal, les manipules plus rapprochés l’un de l’autre, ou les intervalles plus serrés qu’à l’ordinaire, et les manipules présentant plus de hauteur que de front. La cavalerie des alliés, à l’aile gauche, fermait la ligne, en avant de laquelle étaient postés les soldats légers. Il y avait dans cette armée, en comptant les alliés, quatre-vingt mille hommes de pied et un peu plus de six mille chevaux.

Annibal, en même temps, fit passer l’Aufide aux frondeurs et aux troupes légères, et les posta devant l’armée. Le reste ayant passé la rivière par deux endroits, sur le bord à l’aile gauche il mit la cavalerie espagnole et gauloise