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POLYBE, LIV. III.

Ainsi finit la bataille de Cannes, bataille où l’on vit de part et d’autre des prodiges de valeur, comme il est aisé de le justifier.

De six mille chevaux dont la cavalerie romaine était composée, il ne se sauva à Vénuse que soixante-dix Romains avec Varron, et de la cavalerie auxiliaire il n’y eut qu’environ trois cents hommes qui se jetèrent dans différentes villes ; dix mille hommes de pied furent à la vérité faits prisonniers, mais ils n’étaient pas au combat. Il ne sortit de la mêlée pour se sauver dans les villes voisines qu’environ trois mille hommes ; tout le reste, au nombre de soixante-dix mille, mourut au champ d’honneur.

Les Carthaginois eurent la principale obligation de cette victoire, aussi bien que des précédentes, à leur cavalerie, et donnèrent par là à tous les peuples qui devaient naître après eux cette leçon éclatante : qu’en temps de guerre il vaut beaucoup mieux avoir moitié moins d’infanterie et être supérieur en cavalerie, que d’avoir des forces en tout égales à celles de son ennemi.

Annibal perdit dans cette action environ quatre mille Gaulois, quinze cents Espagnols et Africains, et deux cents chevaux.

Je viens de dire que les dix mille hommes faits prisonniers n’étaient pas au combat : c’est que L. Émilius avait laissé dans son camp dix mille hommes de pied, afin que, si Annibal menait à la bataille toute son armée sans laisser de garde à son camp, ce corps de réserve pût aller se jeter sur le bagage des ennemis, ou que si ce général, prévoyant l’avenir, détachait un corps de troupes pour garder son camp, il eût d’autant moins d’ennemis à combattre. Or, voici comment ces dix mille hommes furent faits prisonniers. Dès le commencement du combat, ils avaient été attaquer les Carthaginois qu’Annibal avait laissés pour la garde du camp. Ceux-ci se défendirent, quoique avec assez de peine ; mais quand la bataille fut entièrement terminée, ce général accourut au secours de ses gens, repoussa les Romains, et les enveloppa dans leur propre camp. Deux mille chevaux qui avaient pris la fuite et s’étaient retirés dans les forteresses répandues dans le pays eurent le même sort. Forcés dans leurs postes par les Numides, ils furent tous emmenés prisonniers.

Après cette victoire, les affaires prirent l’aspect qu’on s’attendait leur voir prendre dans les deux partis : elle rendit les Carthaginois maîtres de presque toute cette partie de l’Italie qu’on appelle l’ancienne et la grande Grèce. Les Tarentins se rendirent d’abord : les Argyripains et quelques peuples de la Campanie appelèrent Annibal chez eux. Tous les autres inclinaient déjà à se livrer aux Carthaginois, qui de leur côté n’espéraient rien moins que de prendre Rome d’emblée. Les Romains ne crurent pas seulement alors avoir perdu sans ressource l’empire d’Italie, ils tremblaient pour eux-mêmes et pour leur patrie, dans la pensée qu’Annibal viendrait incessamment à Rome. La fortune même sembla en quelque sorte vouloir mettre le comble au malheur des Romains, et disputer à Annibal la gloire de les détruire. À peine avait-on appris à Rome la défaite de Cannes, qu’on y reçut la nouvelle que le préteur envoyé dans la Gaule Cisalpine y était malheureusement tombé dans une embuscade, et que son armée y avait été tout entière taillée en pièces par les Gaulois.

Tous ces coups n’empêchèrent pas le sénat de prendre toutes les mesures possibles pour sauver l’état. Il releva le